Voici le texte de la très belle homélie prononcée hier par Mgr Philippe Marsset, évêque auxiliaire de Paris, pour les funérailles de Jean-Paul Belmondo en l'église parisienne de Saint-Germain-des-Prés
« Si le grain de blé meurt, il porte beaucoup de fruits… » Avec Paul son
fils, nous avons choisi cette page d’Évangile pour vivre avec vous son
enterrement, son enciellement, le vivre sous le regard de la Parole de Dieu.
Nous avons d’abord pensé évidemment à tous ces fruits que vos témoignages
disent, et ceux des Français, ces fruits que révèlent tous ces hommages des
artistes et des anonymes. Lui, l’homme à la gaîté communicative, à la joie
généreuse, à l’empathie ruisselante… Le comédien qu’il était, vivait dans sa
vie ordinaire ce qu’il savait donner aux autres : la joie, la générosité,
l’humour. Dans Itinéraire d’un enfant gâté, il nous dévoilait peut-être quelque
chose de lui, quand il disait à Richard Anconina : « Ce qui intéresse les
personnes, c’est que tu leur parles d’eux, pas de toi ». Et nous savons tous
comment il a su insuffler à ses personnages sa sympathie, sa bonne humeur, son
charme d’homme heureux.
Ainsi quand il a tourné Léon Morin, prêtre, François Mauriac avait écrit
dans le Figaro littéraire : « La grâce s’imite donc, me disais-je. Qu’un bon
acteur comme Belmondo puisse devenir n’importe quelle créature, entrer dans
toutes les peaux, je le savais. Mais ici, dans ce rôle-là, il fallait devenir
ce saint qui ne sait pas qu’il est saint et qu’il fût en même temps ce garçon
aimé d’une jeune femme et qui sait qu’il est aimé ».
Il y avait en lui une vraie unité de vie qui a contribué à le faire
aimer. Il était aimé des gens parce qu’il aimait les gens, on l’a souvent dit
et redit !
Mais cette page d’Évangile nous parle d’abord d’une autre mort
symbolisée par ce grain de blé tombé en terre. C’est la manière pour
Jésus-Christ de parler de sa mort et de notre mort, de sa vie et de notre vie.
Oui, on ne meurt pas pour rien. La mort fait partie de la vie. Elle n’en est
pas le terme, elle est notre naissance dans le mystère de Dieu. C’est le sens
de ce geste d’eau bénite que je ferai tout à l’heure à la sortie de la
célébration sur son corps, comme un autre prêtre l’a fait, il y a 88 ans, le
jour de son baptême. Nous sommes tous sortis, un jour, du ventre de notre
maman. Et ce jour-là, on a découvert ce qu’était une maison, un arbre, un
frère, un chien… tout ce qu’on ne peut pas imaginer dans le sein de sa mère. On
a aussi découvert notre père, notre mère, nos amis.
De la même manière, au jour de notre mort, nous sortons du ventre de
notre terre et nous naissons à une réalité inimaginable. Dans cette réalité, au
centre de tout, il y a notre Père qui est aux Cieux. Et son Fils, grain de blé
semé pour poser en nous la vie divine. Et nous découvrons notre famille humaine
dans son intégralité. Jean-Paul Belmondo était baptisé, pas franchement
pratiquant dans le domaine liturgique, mais il a gardé dans sa belle humanité
des traces indélébiles de sa ressemblance filiale avec Dieu.
Dans une interview, il disait qu’il ne craignait pas la mort : « Elle
est inéluctable, disait-il, et il y a longtemps que je me suis fait une raison
». Aujourd’hui, l’homme de brio rencontre le Fils du Très Haut. Le « bien-aimé
des hommes » Jean-Paul Belmondo, découvre le Bien-Aimé du Père, celui que le
Père des Cieux appelle son « Fils bien-aimé : Jésus ». Le grain de blé était
volontairement tombé en terre, il y a deux mille ans, pour que nos propres vies
humaines ne se terminent pas par un saut dans le vide, mais soient absorbées
dans sa vie divine. Et ce sera pour Jean-Paul, comme pour nous, chacun à notre
heure, une divine surprise.
Dans les rares paroles qu’il a laissées sur sa vie de baptisé, Jean-Paul
Belmondo parlait plus d’une deuxième vie qui prolongerait, mais en mieux, les
amours et les amitiés de la terre. Il avait dit qu’il retrouverait autour d’une
bonne table Lino, Gabin, Audiard et tous ces autres compères. Ses parents
aussi, sa fille Patricia… Sa surprise aujourd’hui, c’est de découvrir que la
mort n’est pas une heureuse (ou douloureuse) prolongation de la vie terrestre,
c’est une totale transformation. Quand on est mort, on est mort. Et c’est pour
la vie ! On ne se survit pas à soi-même ! S’il y a une autre vie, elle ne peut
pas venir de nous. Elle vient forcément de Dieu. Et ni Dieu, ni l’éternité ne
sont comme nous l’imaginons. Bien heureusement !
Du coup, la mort a bien deux visages. Celui d’une souffrance, pour nous
qui restons sur la terre. Et cette souffrance est proportionnée au bien qu’a
fait cet homme, si peu ordinaire et pourtant si ordinaire, une souffrance qui
est proportionnée à l’amour que chacun avait pour lui. Ce visage de la mort est
peiné, même s’il est admiratif et louangeur parce qu’il est une séparation :
oui, Jean-Paul Belmondo est mort.
Mais l’autre visage de la mort, c’est celui du mort qui découvre cet
instant « D », l’instant DIEU non comme un flop, mais comme une rencontre. La
mort, c’est être libéré du temps « chronos », du temps-souffrance, du temps-vieillissement,
et entrer dans le temps « kairos », le temps de Dieu, le temps de l’Amour de
Dieu, le temps de l’accomplissement de notre vie devant notre Créateur et notre
Sauveur.
Pour nous, pour vous, sa famille charnelle et sa famille de cœur, la mort
est encore un point d’interrogation. Mais en présence de Dieu, elle est un
point d’exclamation ! Qui mourra, verra. La mort est un passage de l’amour en
humanité à l’Amour en éternité, ce lieu où les vraies amours trouvent toute
leur place dans le cœur de Dieu.
« Seigneur, je ne te demande pas pourquoi tu nous as enlevé Jean-Paul
Belmondo, je te remercie de nous l’avoir donné ».