lundi 15 juillet 2024

Sur l'enseignement

 La récente désignation des futurs ministres de la Fédération Wallonie-Bruxelles suscite des réactions indignées du côté laïque - l'Etat céderait une nouvelle fois au lobby catholique du réseau "libre", et ainsi mettrait à mal la nécessaire neutralité de l'enseignement, etc. 

Chanson connue.

Je ne suis pas politicien, et ne souhaite guère intervenir dans ce débat vieux comme le Pacte scolaire. Je veux simplement rappeler et citer deux articles de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, pour laquelle l'enseignement et, plus largement l'éducation, ne sont pas d'abord l'affaire des Etats, mais des parents et de leurs convictions (y compris religieuses).

Donc :


- Article 18 : "Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement, le culte et l'accomplissement des rites."

- Article 26, §3 : "Les parents ont, par priorité, le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants."


Voilà, voilà, voilà...

lundi 1 juillet 2024

"Les valeurs de la République"

 Je ne suis guère un spécialiste de la politique. Mais les quelques commentaires entendus hier soir sur les chaînes françaises de télévision me rappellent que j'ai été aussi, et longtemps, dans ma vie, professeur de théologie morale et, plus spécialement, de "morale fondamentale".

 Les Français ont donc voté - rien de plus démocratique : la majorité des suffrages exprimés fait loi. Et, comme il s'agit d'une élection majoritaire à deux tours, cela sera complété la semaine prochaine. Mais, nous disent certains commentateurs, ce faisant les Français ont mis en danger "les valeurs de la République". Cela signifie donc, pour le "moraliste" que je fus et suis resté, que certaines valeurs ne sauraient en effet être soumises à l'arbitrage démocratique. Même si une majorité d'électeurs vote contre elles, elle continuent à s'imposer et méritent d'être défendues.

Ceci est important : ce n'est pas une majorité qui dit le bien. La majorité dit... l'opinion de la majorité, mais cela ne constitue pas nécessairement le bien. Le bien a d'autres sources et toute la question consiste à savoir quelles sont ces sources. Si ce n'est pas une majorité d'électeurs qui en décide, qu'est-ce que c'est?

Philosophie et théologie disent qu'à la fois le bien se reçoit et se construit. Il se reçoit de sagesses antiques, de formulaires quelquefois très vieux - comme le Décalogue biblique. Mais il se construit aussi, dans une patiente écoute des uns et des autres, et finit par constituer un horizon commun qu'on nomme quelquefois "la loi naturelle". "Tu ne tueras pas." "Tu ne mentiras pas." "Tu ne voleras pas." Etc. Ou, pour évoquer un catalogue plus récent, mais qui au fond reprend les vieilles formules : "Tous les êtres humains naissent et demeurent égaux en dignité et en droit."  Cela signifie que, même si une majorité d'électeurs vote des lois contraires, ce qui est ainsi voté est mal du point de vue de la morale.

Prenons un exemple un peu stupide, mais pourtant réaliste. La démocratie est le moins mauvais des régimes, car il donne à chacune et chacun une voix pour s'exprimer. La démocratie est donc une valeur qui fait partie de la loi naturelle. Mais si une majorité qualifiée votait démocratiquement l'abrogation de la démocratie et, par exemple, l'instauration de la dictature (cela s'est vu : voyez l'Italie, voyez l'Allemagne de la première moitié du XXème siècle), cela serait-il moralement acceptable du seul fait que la démocratie, réduite à l'expression d'une majorité, en a décidé ainsi? Evidemment non.

D'où nous concluons que la démocratie suppose aussi de considérer et de respecter la loi naturelle. Et en effet, certaines "valeurs de la République", qui sont une part de cette loi naturelle, ne sauraient être soumises à l'arbitrage démocratique. 

Vive la France!

lundi 24 juin 2024

40 ans...

 Gratitude aujourd'hui : Philippe, Francis et moi-même célébrons le quarantième anniversaire de notre ordination. C'était en effet le dimanche 24 juin 1984 qu'à 10heures, dans la Cathédrale de Tournai, le cher Mgr Huard nous ordonnait prêtres. Quarante ans ont passé : que de souvenirs, d'épreuves mais surtout de joies, de rencontres, d'accompagnements, de travail, de louange. De quoi rendre grâce, vraiment, et remercier celles et ceux qui nous ont faits prêtres : car ce sont les personnes vers lesquelles nous fûmes ou nous sommes envoyés qui permettent à la grâce sacramentelle de s'épanouir au quotidien.

La liturgie célèbre aujourd'hui la solennité de la nativité de saint Jean Baptiste. Belle figure pour un prêtre - mais aussi pour tout baptisé : le Baptiste est celui qui dit du Christ "il faut qu'il grandisse et que moi je diminue!" Diminuer, cela vient tout seul avec l'âge, mais c'est aussi un consentement à l'effacement, pour que soit Celui que nous annonçons!

dimanche 16 juin 2024

De la démocratie

 Ce qui se passe en France, du point de vue politique, ne laisse pas de m'étonner. Les commentateurs ont l'air de découvrir que la démocratie, "le moins mauvais des régimes" (Churchill), si on la réduit à un simple comptage arithmétique, peut ouvrir la porte à la dictature. Pourtant c'est une évidence : dans les années 30 en Allemagne, c'est le processus démocratique qui a largement contribué à la prise de pouvoir de Hitler. C'est que la démocratie ainsi conçue ne ferait que traduire dans les urnes le désir majoritaire, et que le désir majoritaire n'est évidemment pas toujours le souci du bien commun.

Alors que faire? Eh bien, revenir au souci du bien commun, précisément. Apprendre à le discerner, à le désirer non comme une addition de biens individuels, mais comme le bien d'une communauté de vie qui s'étend aussi loin que possible, par-delà les frontières de son pays, voire de son continent. C'est  une éducation qui est en jeu, une éducation permanente dans laquelle je crois que les religions, débarrassées de leurs visées politiques ou opportunistes, ont une partition à jouer. Parce que dans le meilleur des cas, elles sont des lieux d'initiation - plus encore que d'enseignement - au bien. Parce que, jouant avec les mythes, elles disent quelque chose de la vérité de l'être humain. Parce que, honorant le souci spirituel, elles sont capables de toucher l'intériorité et le coeur, seuls lieux de conversion. Parce qu'elles ont une certaine expérience du vivre-ensemble communautaire. Parce qu'elles sont tout entières tissées de  récits de promesse et d'espérance.

Ou, pour le dire d'un mot, parce que, toujours dans le meilleur des cas, elles exhalent une certaine sagesse. Une sagesse dont nous avons tous grand besoin, et nos amis Français sans doute en premier!

dimanche 26 mai 2024

Hildegarde de Bingen : moment de grâce à la Cathédrale hier soir

 Hildegarde de Bingen, cette grande mystique chrétienne du XIIème siècle, docteur de l'Eglise, moniale, prédicatrice, visionnaire, prophétesse, botaniste et j'en passe, est à l'honneur depuis quelques semaines et jusqu'en juin à la Cathédrale de Bruxelles. Une exposition lui est consacrée, et hier avaient lieu deux conférences à son propos - dont l'une de votre serviteur. Et puis, on a entendu de magnifiques concerts. J'ai été bouleversé hier soir par la prestation de l'ensemble Ad Lucem, avec le baryton Romain Dayez et le violoncelliste Jean-Paul Dessy. Pendant un peu plus d'une heure, ils ont joué et chanté, en l'actualisant, le drame liturgique Ordo Virtutum de Hildegarde : récit d'une âme humaine en proie au doute, qui invoque les vertus divines. 

Une heure de grâce! La lumière vespérale, douce, déclinante, donnait ses derniers feux de la journée,  les vitraux de la Cathédrale peu à peu s'éteignaient,  la puissance de la voix de Romain Dayez vous conduisait au plus intime de vous-même, là où se joue le perpétuel combat spirituel.

Oui, un moment de pur bonheur!

lundi 20 mai 2024

Nous allons bientôt voter...

 Nous allons bientôt voter... entre autres, pour élire le Parlement de l'Union Européenne. Je ne m'exprime guère en matière de géo-politique, n'y connaissant pas grand-chose. Mais je relaie ici les perplexités d'un confrère libanais qui, commentant la nouvelle selon laquelle l'UE a décidé de débloquer un milliard d'euros par an en faveur du Liban, s'interroge. 

Cet argent ne va-t-il pas contribuer, purement et simplement, non pas à aider les ressortissants syriens qui affluent dans ce petit pays, à rentrer chez eux, mais au contraire à armer le Hezbollah qui ne pense qu'à reprendre la guerre contre Israël? Les intérêts de l'Europe peuvent paraître philanthropiques : aider une nation amie qui souffre d'un grand déficit démocratique à cause de la situation explosive au Proche-Orient. Mais on voit bien l'intention plus cachée : éviter (c'est la contrepartie annoncée par l'UE) que les réfugiés syriens ne débarquent, via Chypre, en Europe.

Autrement dit : on vous paie pour faire le sale boulot, et débrouillez-vous avec vos réfugiés, mais surtout empêchez-les  de débarquer chez nous.

Belle mentalité!

Il faut voter, bientôt. Pour ça?

dimanche 5 mai 2024

Nouvelles de Rome


 Rentré jeudi soir de Rome, après quelques jours intenses (8h00-21h00) d'un Congrès qui aura porté sur "la synodalité" comme exercice spécifique de la vie fraternelle et de la prise de décision en Eglise. Etrange animal, direz-vous, que cette "synodalité" - étymologiquement, une manière de faire route ensemble, en se plaçant dans l'écoute de l'Esprit Saint par la prière, l'attention portée à la Parole de Dieu et surtout aux points de vue de chacun, avec une pédagogie et des procédures très spécifiques. L'Eglise s'est débarrassée (du moins espérons-le) de son modèle monarchique de fonctionnement; elle n'est pas une oligarchie ou une aristocratie. Elle n'est pas non plus simplement une démocratie, surtout quand la démocratie fonctionne comme une pure et simple addition de voix pour arriver à une majorité. La synodalité emprunte certes des éléments à la démocratie, mais ne s'y réduit pas - notamment par l'écoute d'une Parole, répétons-le, qui dépasse ceux qui se concertent pour une prise de décision à travers des "conversations dans l'Esprit" largement inspirées de la tradition ignatienne (le pape est... un jésuite, ne l'oublions jamais!) François entend ainsi ouvrir l'Eglise et ses fonctionnements à une manière à la fois traditionnelle et innovante de vivre ensemble et de décider ensemble. La question qui nous occupait devenait dès lors multiple, à savoir : comment concilier cette méthode et l'autorité canonique du "curé", voire plus largement du ministère ordonné? Comment cette proposition devrait-elle conduire à la révision d'un certain nombre d'articles du Code de Droit Canonique? Cette manière de procéder pourrait-elle inspirer des prises de décision en-dehors de l'Eglise, et par exemple dans des domaines géo-politiques? Ajoutons que nous avons non pas d'abord assisté passivement à des exposés qui nous expliquaient la synodalité, mais travaillé en petits cercles qui la pratiquaient. Rencontres enrichissantes, donc, ne serait-ce que par les échanges entre curés venant d'horizons très divers (dans mon groupe francophone : un Luxembourgeois, un Français, un Libanais, un Camerounais, un Togolais, un Ivoirien, un Italien francophile, un Canadien; pour l'ensemble du Colloque, 99 pays représentés.)

Jeudi matin, nous avons longuement rencontré le pape, qui est en très bonne forme, sauf sa mobilité. Il a beaucoup plaisanté et ri avec nous, au cours d'un échange par ailleurs très direct dans lequel il a redit sa volonté de contribuer par tous les moyens à la paix dans le monde, même si on ne comprend pas toujours cette posture évangélique. Les guerres ne servent à rien, dit-il en substance, elles finissent toujours par des armistices et des compromis, mais après des boucheries épouvantables et des malheurs sans nom pour des populations entières. Elles n'apportent aucun profit à personne, sauf aux marchands d'armes...

En le saluant, je lui ai dit que nous l'attendions en septembre à Bruxelles ("Santità, la aspettiamo con gioia in Belgio  in settembre") et il m'a avec un grand sourire répondu "Si, si, ci vedremo allora!"

Et maintenant, il me faut écrire un rapport pour la Conférence des évêques. J'ai commencé mais  c'est un gros travail! Au boulot!