lundi 22 mai 2023

L'Heure de la Croix, l'Heure de l'Esprit

 Dans l'évangile de Jean, ce que Jésus appelle "son Heure" pointe l'attention des lecteurs vers l'événement de la Croix. "Mon Heure n'est pas encore venue", dira-t-il ainsi à sa Mère qui le sollicite pour le premier signe de son oeuvre, le signe de Cana. Et l'insistance de cette Mère va ouvrir la mission de Jésus : la surabondance du vin excellent, jamais dégusté sur la terre des hommes, dira la grandeur de la grâce offerte dans cette nouvelle alliance de Dieu et des hommes.

La Mère de Jésus - on ne la nomme jamais autrement dans le quatrième évangile - ne réapparaît qu'une autre fois : précisément à la Croix, et assume encore sa fonction maternelle dans l'oeuvre du salut. Elle reçoit pour fils le disciple aimé et, à travers lui, tout disciple - chacune et chacun de nous, donc. Sur elle et sur le disciple aimé, Jésus expirant souffle l'Esprit. Il faut ici passer par le grec : si l'évangéliste avait voulu simplement dire que Jésus pousse le dernier soupir, il aurait écrit : exepneusen, ce qui est l'exact terme grec pour cela. Or, on lit paredôken to Pneuma, "il transmit l'Esprit", manière de dire qu'en expirant, Jésus fait à l'Eglise naissante le don de l'Esprit. La chronologie johannique n'est pas la même que celle des synoptiques - en particulier, de Luc qui, lui, inscrit ce don dans le calendrier juif et le situe ainsi cinquante jours après Pâques, comme le fait notre liturgie.

Tout ceci est d'importance pour notre vie spirituelle. A "l'Heure" de la Croix, l'Esprit est soufflé sur l'Eglise par Jésus. Cela vaut pour chaque baptisé, qui reconnaît en toute épreuve traversée la présence de cette Croix à laquelle il s'unit. Cela vaut pour le corps ecclésial tout entier, qui traverse ses contradictions avec la certitude d'un surcroît de ce don à chaque croix rencontrée et embrassée. L'Heure de la Croix, c'est toujours l'Heure de l'Esprit.

dimanche 14 mai 2023

La vie spirituelle

 Autrefois, dans les librairies généralistes, il y avait un rayon "Religions" - et, en effet, on y trouvait des ouvrages sur le christianisme, le judaïsme, l'islam, le bouddhisme, etc. Aujourd'hui, dans bien des cas, l'intitulé de ce genre de rayon a changé, on préfère le terme "Spiritualités" (et au pluriel, donc.) C'est que, si le mot "spiritualité "est à la mode, il recouvre bien des acceptions : une introspection contemplative, pour André Comte-Sponville, ce philosophe athée, par exemple; ou un joyeux éclectisme, mêlant un peu de Jésus, un soupçon de Bouddha, des exercices za-zen et du yoga, pour donner un autre exemple. Pour les chrétiens, la vie spirituelle est une aventure plus précise : il s'agit d'accueillir en soi l'oeuvre du Saint Esprit de Dieu, que Jésus a prié le Père de nous envoyer, comme il le dit dans le passage d'évangile proclamé aujourd'hui.

La "vie spirituelle" chrétienne commence donc dans une attitude de mains ouvertes, d'accueil : laisser vivre en soi un Autre que soi, Dieu lui-même, dont la force est intérieurement transfigurante. C'est l'Esprit qui prie en nous, comme dit saint Paul, car "nous ne savons pas prier comme il faut" (Rm 8). C'est l'Esprit qui est seul capable de nous ajuster à la vie avec Dieu, et ainsi de nous faire porter un juste fruit et un vrai témoignage d'amour fraternel.

Un quart d'heure de silence par jour, hors tout bruit, hors toute lecture. Un quart d'heure de silence par jour pour se rendre attentif à l'oeuvre en nous de l'Esprit de Dieu, à ce qu'il bouleverse, à ce qu'il chamboule, à ce qu'il guérit. Un quart d'heure de ce silence, c'est l'autre nom de la prière.

dimanche 7 mai 2023

Impressions sur "le" couronnement

 Beaucoup de choses m'ont impressionné dans ce que j'ai vu du couronnement du roi Charles III, hier. D'abord, que cela existe... il faut une certaine audace pour maintenir un rituel religieux en lien avec l'inauguration d'un chef d'Etat. J'entends déjà les cris et récriminations de beaucoup, chez nous et ailleurs, qui doivent déplorer la mise à mal de la sacrosainte séparation des Eglises et de l'Etat. Pourtant... qui oserait prétendre que la Grande-Bretagne n'est pas une démocratie (elle est même en quelque sorte la "mère" de nos modernes démocraties)? Comme quoi, il n'y a pas que la forme républicaine pour incarner la démocratie!

Ensuite, que cela fonctionne. Manifestement, le rite et sa reprise traditionnelle sont efficaces pour rassembler symboliquement une nation autour de son principal dirigeant. Les foules enthousiastes dans ce genre d'événement nous rappellent que les rituels sont nécessaires - et donc significatifs.

Et puis, il y a la liturgie elle-même, anglicane de la High Church, certes, et donc sans doute proche de la liturgie catholique, avec des éléments émouvants. Exemple : lorsque le petit garçon venu du Choeur de la Cathédrale accueille le Roi, il le fait "au nom du Roi des Rois", et reçoit comme réponse : "Je suis venu au nom du Roi des Rois non pas pour être servi mais, comme lui, pour servir." C'est tout de même une remarquable et évangélique entrée en matière!

Et puis le dépouillement symbolique du monarque et son isolement au moment de l'Onction : rappel que nos rites relèvent de l'initiation, que ce qui marque le plus puissamment est aussi le plus secret.

Et puis encore, le caractère (pour la première fois) oecuménique et interreligieux de la célébration, certes présidée par l'archevêque anglican, mais ouverte aux autres confessions chrétiennes et aux autres religions.

Je ne suis pas, par tempérament, très "people" - je sais trop l'artifice que peut souvent (mal) dissimuler ce genre de grand messe. Mais là, j'ai cru à la sincérité de ces moments et, oui, j'ai été bluffé par l'événement!