dimanche 14 juin 2020

L'Eglise devait-elle approuver le confinement?

De plusieurs côtés des voix s'élèvent, surtout en France, un peu moins chez nous, pour reprocher à l'Eglise et à son clergé mille choses - comme d'habitude - et spécialement d'avoir été des "suiveurs", de "pleutres", des "poltrons" à la remorque de décisions politiques qui, avec le confinement, empêchaient l'exercice public du culte et le réconfort des sacrements.
Il y a derrière cette opinion quelque chose de profondément erroné : l'idée que l'Eglise serait un corps social à part, en surplomb en quelque sorte par rapport au reste de la vie civile. C'est un reliquat de théocratie, qui voudrait subordonner le politique au religieux ou en tous les cas assurer la complète indépendance de ce dernier. On oublie alors que même le libre exercice du culte (garanti par les Constitutions les plus laïques, comme la Constitution française) reste soumis au respect du bien commun.
Or, ce bien commun passe par la préservation, autant que faire se peut, de la santé de chacun. C'est ce à quoi le confinement entendait contribuer, et on peut estimer qu'il y a, pour une bonne part, réussi - on constate que les pays qui n'en ont pas voulu paient un tribut beaucoup plus lourd à la Covid19. En acceptant de suspendre les célébrations publiques de son culte, l'Eglise, comme du reste les autres religions reconnues dans notre pays, a contribué en toute conscience au maintien du bien commun et, en particulier, à ce bien précieux qu'est la santé.
L'exemple a contrario quelquefois donné pour fustiger la poltronnerie incriminée du clergé, à savoir l'exemple de ces prêtres italiens qui, bravant l'interdit de la distanciation sociale, se sont penchés sur les malades pour leur apporter les secours de la religion, et pour certains sont eux-mêmes devenus malades au point d'en mourir, est un mauvais exemple : contaminés, ces prêtres sans doute généreux sont aussi devenus contaminants, et ne sauraient en aucun cas être des exemples…
Il se peut que, quelquefois, l'Eglise catholique prenne position contre certaines législations qu'elle juge précisément non conformes au bien commun. Mais, en l'occurrence, c'est en ne suivant pas cette demande d'une suspension provisoire du culte qu'elle aurait desservi ce même bien commun.
Le caractère "va-t-en guerre" et quelquefois injurieux des protestations que j'évoque ici peut se comprendre comme le résultat d'une frustration engendrée par le confinement. Mais il ne résiste pas à l'analyse saine et posée de l'attitude que les chrétiens et leurs responsables devaient prendre - et qu'ils ont prise, en effet, pour le bien de tous.

dimanche 7 juin 2020

Le Dieu des chrétiens...

Dans la liturgie catholique, la solennité de la Sainte Trinité - aujourd'hui - est la seule fête qui nous demande de parler directement de l'objet premier de la théologie : Dieu. On parle peu de Dieu, et je me demande bien ce que les gens (paroissiens ou non, croyants ou non) ont dans la tête quand on l'évoque. Un super-chef, genre PDG, qui régirait tout? Un justicier qui nous attendrait de l'autre côté avec son bâton? Un comptable qui note dans un grand livre nos bonnes et mauvaises actions? Une nounou consolatrice qui nous berce sur sa poitrine généreuse quand nous avons chagrin? En réalité, toutes ces images de Dieu sont autant d'idoles - celles-là même que le Premier Testament refuse énergiquement que l'on se fabrique ("De Dieu, tu n'auras pas d'image", dit le Premier des Dix Commandements!) Dieu est et reste irreprésentable, "inconnaissable" (Grégoire de Nysse), parfaitement Autre, le Tout Autre de ses créatures, lui qui en est le Créateur.
Mais la Tradition chrétienne, solidement appuyée sur le Nouveau Testament et développée lors des grands conciles christologiques des IVème et Vème siècles (Nicée, Constantinople, Ephèse, Chalcédoine) nous engage à envisager Dieu non comme un objet faisant nombre avec nous, mais comme une relation. Les noms des "personnes" divines (Père, Fils, Esprit) sont ainsi, particulièrement pour les deux premiers, non pas des noms propres (Jules, Antoine ou Marinette si vous voulez une version féminine de Dieu), mais des noms de relation. Le Père n'est Père que parce qu'il engendre, c'est-à-dire qu'il se dépossède de lui-même pour avoir devant lui un Autre que lui; le Fils n'est Fils que parce qu'il se reçoit du Père ("Ma nourriture, dira Jésus, le Fils incarné, c'est de faire la volonté du Père"), tout cela par détachement de soi dans la grande liberté de l'Esprit, la liberté spirituelle de l'amour,  que l'on nomme en grec agapè.
Nous avons reçu la puissance de cet amour, et la solennité de la Trinité nous invite non pas tant à connaître Dieu, ni même à le contempler, qu'à vivre en Dieu, initiant et restaurant entre nous ces mêmes relations paternelles (ou maternelles) et filiales, dans la liberté de l'Esprit. Nos communautés chrétiennes n'ont d'autre but que de nous apprendre à vivre ensemble, dans la dépossession de soi et le don fait à l'Autre, respectant celui-ci précisément parce qu'il est Autre. Ce but porte un nom en français : la fraternité. Etre frères et sœurs les uns des autres, c'est tour à tour, en effet, être père et mère, fils et filles, les uns des autres, dans une réversibilité de fonction qui tient à l'âge, aux compétences, aux missions ecclésiales.
La Trinité, c'est Dieu à vivre entre nous, dans ce que le regretté Guy Lafon, qui vient de mourir de la Covid19 et qui fut à Paris l'un de mes plus inoubliables professeurs, appelait "l'entretien" infini. Il aimait à répéter : "Dieu, c'est l'entre, dans l'entretien"... Quel programme!
Bonne fête à tous, spécialement aux Montois privés du Doudou. Ils se rattraperont bien...