vendredi 24 février 2023

La guerre en Ukraine, les vers d'Aragon

 Premier et douloureux anniversaire de la guerre en Ukraine. Insomnie, cette nuit, et pensée qui dérive vers ce chaos voulu par l'arrogance, la barbarie et la bêtise des hommes - d'un homme, en particulier. Comme si l'humanité n'avait rien compris des siècles sanglants qui jalonnent sa pauvre existence terrestre. Resongé aux vers d'Aragon, dans Le Fou d'Elsa :

Quoi toujours ce serait la guerre la querelle

Des manières de rois et des fronts prosternés

Et l'enfant de la femme inutilement né

Les blés déchiquetés toujours des sauterelles


Quoi le bagne toujours et la chair sous la roue

Le massacre toujours justifié d'idoles

Aux cadavres jeté ce manteau de paroles

Le bâillon pour la bouche et pour la main le clou


Et, malgré l'horreur toujours recommencée, cette espérance du poète (communiste!) :

Un jour pourtant un jour viendra couleur d'orange

Un jour de palme un jour de feuillages au front

Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront

Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche


Prions pour ce jour ne tarde pas!

mercredi 22 février 2023

Homélie pour le mercredi des cendres

 Voici l'homélie prononcée aujourd'hui lors de la Messe des Cendres, à la Cathédrale.

"Le Carême, temps d'ultime préparation au baptême pour les catéchumènes, est pour tous les baptisés un temps de retour, de conversion à la vie nouvelle que le baptême a inaugurée en eux. Nous savons - et venons de l'entendre proclamer dans l'Evangile - qu'il recommande trois attitudes : jeûner, faire l'aumône, prier. Ce sont trois rapports qui sont ici concernés : au monde, à l'autre, à Dieu. Jeûner, en effet, c'est renoncer à la mainmise sur le monde, à une attitude prédatrice, d'excessive consommation (de nourriture, d'images, de tout ce qu'on veut...) Faire l'aumône, c'est s'engager à prendre soin de l'autre, à réveiller notre curiosité pour l'autre, et surtout pour le faible, le petit, qui est à côté de nous et que si souvent nous ignorons. Prier, c'est reprendre encore et encore la conversation sans cesse interrompue avec ce Dieu qui ne cesse de venir nous parler, mais que nous écoutons peu.

"L'Evangile nous rappelle surtout le lieu de cette triple conversion : notre intériorité, "dans le secret" de notre coeur. En recevant les cendres sur nos fronts, laissons-les aller jusqu'au plus secret de nous-mêmes, pour que nos coeurs deviennent grâce à elles des coeurs blessés, capables d'aimer."

dimanche 19 février 2023

Notre rapport à la Torah

 Les chrétiens ont un rapport particulier à la Torah, don merveilleux de Dieu fait au Peuple libéré, pour qu'il reste libre.

Nous lisions, la semaine dernière et ce dimanche encore, des passages du chapitre cinquième de l'Evangile de Matthieu. Jésus y est présenté comme le nouveau Moïse, assis "sur la montagne" - on ne dit pas le nom de cette montagne, mais l'Evangile de Matthieu s'adresse à un lectorat juif, et quand à des oreilles juives on évoque "la montagne", elles entendent, naturellement, "la" Montagne, le Sinaï.

Il va d'abord donner à la Torah un horizon nouveau, de bonheur : ce sont les huit "béatitudes". Huit fois, l'être humain est dit par lui appelé au bonheur, grâce à son accomplissement de la Torah, qui lie pauvreté du coeur et souci de justice, volonté de faire la paix et même persécution accueillie dans l'amour.

Et puis, avec une autorité exceptionnelle qui tranche avec celle, toute relative, des rabbis de son temps, Jésus, Maître incontesté de la Loi ("Moi, je vous dis..."), revisite divers versets. Ainsi, entendu aujourd'hui, celui du Talion, que nous connaissons bien mais interprétons mal, "Oeil pour oeil, dent pour dent..." quand nous pensons ces propos comme incitation à la vengeance, alors qu'ils sont une demande de limitation de la vengeance ("Pour un oeil, seulement un oeil; pour une dent, seulement une dent - et pas le ratelier tout entier!") Jésus va à la racine du précepte : sa logique profonde, dit-il, consiste à ne pas se venger du tout, mais même à "aimer ses ennemis", à "prier pour ses persécuteurs"...

Utopie? Oh oui, ou plutôt, horizon "eschatologique", comme disent de façon compliquée les théologiens : dans le Royaume enfin advenu, il en sera ainsi, à la fin  du temps et de l'espace. En attendant, cette perspective est remise entre nos mains pour que nous y convertissions chaque jour nos coeur.

Quel programme!

dimanche 5 février 2023

Marquis et marquisats

 Depuis que je suis à Bruxelles, je suis étonné par le nombre et l'arrogance des ces territoires prétendument extra-territoriaux de l'Eglise, que j'aime à appeler des "marquisats". C'est qu'y règnent de petits marquis, persuadés de leur importance et de leur compétence à dire, toujours et en tout moment, le bien de l'Eglise. Pour eux, évidemment, l'autorité de l'évêque n'existe pas - fiers insoumis, ils le méprisent, retirés qu'ils sont sur leurs terres comme les nobliaux français du XVIIème siècle. Ils défendent leur fief, leur point de vue, leur clocher - peu importe le territoire idéologique - avec un mépris des autres qui serait risible s'il ne devait être supporté en Eglise. Devant la réforme actuelle des Fabriques d'Eglise, qui demande évidemment une solidarité inédite entre établissements, j'entends dire par exemple : "Oh mais dans un premier temps, on jouera la carte de la solidarité, pour mieux protéger ses propres espaces, ensuite." Et quand je m'étonne - avec un certain agacement que je confesse volontiers- en demandant si cette attitude est après tout simplement évangélique, on semble surpris que je vienne mettre l'Evangile dans tout cela. Tout cela, qui relèverait simplement de prétendues compétences d' "hommes d'affaire", évidemment, c'est-à-dire d'hommes et de femmes qui s'y connaissent, contrairement aux hurluberlus du Vicariat, qui sont de doux rêveurs et qui, s'ils plaident pour leurs rêves deviennent des dictateurs. Tout le monde sait mieux que tout le monde l'opportunité d'une heure de messe, et quand - après consultation, tout de même - on change là-dedans quelque chose, on vous oppose la "démarche synodale" en cours, comme si celle-ci consistait à sauver, pour chacun, son bout de gras, sans avoir à considérer le bien de tous. "Moi d'abord", voilà la devise qui semble prévaloir.

Eh bien non. Tant que je serai ici et responsable pastoral, et même si ma tension artérielle doit quelquefois en pâtir, je m'opposerai, pour le bien de l'Eglise, à ces petits marquis et à leur prétendu marquisat!

mercredi 1 février 2023

La mort de Soeur Marcelle

 J'ai appris hier le décès, survenu la veille, de Soeur Marcelle, qui fut à plusieurs reprises la Mère Prieure du Carmel de Floreffe, près de Namur. Depuis près de vingt-cinq ans, j'ai connu cette Soeur et sa magnifique communauté. Magnifique, parce que vraiment évangélique : discrète, sans aucune volonté de "la ramener", joyeuse, attentive à la vie fraternelle (première ascèse, quand il s'agit de se supporter, dans la double acception du terme, "se soutenir", et "se tolérer"...), fidèle à la vie liturgique, généreuse pour tous ceux qui venaient frapper à sa porte, curieuse de formation et de vie intellectuelle (combien de philosophes, de théologiens, d'exégètes, de journalistes - parmi lesquels, souvent, mon ami Michel Cool) n'ont-elles pas invités! Femmes remarquables, dont Marcelle a si souvent été l'âme et le réconfort, la guide et le bon-sens.

Vies cachées de l'Evangile, enfouies dans nos terroirs, quel trésor que votre présence! La communauté, aujourd'hui âgée, se retire dans un lieu de repos mieux adapté à son âge moyen, la monastère va être vendu. Puisse  ce lieu rester une mémoire vive de la foi qui longtemps encore suintera de ses murs. 

Quant à Soeur Marcelle, qu'elle veille avec son bon sourire sur celles et ceux qui ont eu la chance de croiser sa vie toute donnée...