lundi 31 octobre 2011

Faut-il avoir peur de l'Islam?

Osons ici la question qui est si souvent posée et qui suscite quantité de blogs haineux, de blagues racistes, de propos définitifs (et souvent définitivement stupides) : Faut-il avoir peur de l'Islam?
La réponse est simple : évidemment, non.
Il ne pas avoir peur de l'Islam comme il ne faut pas avoir peur du Christianisme ou du Judaïsme!
On dira : oh! mais certains textes du Coran... Je répondrai : oh! mais certains textes de la Bible!
La question n'est pas celle du contenu même du dépôt révélé, mais de son interprétation (ou, si vous voulez, de la théologie qu'on y met).
Et la réponse devient donc : il ne faut pas avoir peur de l'Islam, mais il faut avoir peur d'un certain nombre (et d'un certain type) de musulmans.
Il ne faut pas avoir peur du Christianisme, mais il faut avoir peur d'un certain nombre (et d'un certain type) de chrétiens.
Il ne faut pas avoir peur du Judaïsme, mais il faut avoir peur d'un certain nombre (et d'un certain type) de juifs.
Lesquels?
Ceux qui, sous le prétexte d'appartenir à une religion "révélée", pensent qu'ils détiennent la vérité définitive sur toutes choses, et ne sont plus contraints de la chercher, même si elle est déjà révélée.
Ceux qui, sous le prétexte qu'ils détiennent la vérité révélée, entendent l'imposer partout et à tous, et utiliser pour cela la prise de pouvoir ou, plus généralement, la politique.
On en trouve, de ces gogos-là, dans les trois monothéismes, sous toutes les latitudes.
Eux, toujours, sont dangereux. A fuir, à réprimer, à proscrire, à combattre.
Ce n'est pas l'Islam qu'il faut craindre.
Ce sont les gens qui, par facilité et par paresse, ont renoncé à penser, à dialoguer, à écouter.
Il y en a chez nous, dans nos paroisses, à nos portes, dans nos églises - en nombre probablement partout proportionné.
Ce sont les cons. Hélas!
Au fond, seuls les cons sont vraiment dangereux.

samedi 29 octobre 2011

Julia Kristeva à Assise

Avant-hier avait lieu à Assise, à l'invitation du pape Benoît XVI, la commémoration du 25ème anniversaire de la rencontre interreligieuse convoquée dans le même lieu par son prédécesseur. Les responsables des grandes religions de la planète se sont donc retrouvés pour parler ensemble et prier pour la paix; lors de diverses allocutions, ces responsables ont affirmé que le dessein de la religion consiste en l'épanouissement de l'être humain, et que seul un mésusage des doctrines et des rites conduit (hélas souvent!) à alimenter des conflits et des guerres au nom de la religion.
Benoît XVI avait fait un pas de plus, encore, que son prédécesseur, en invitant une représentante de "l'humanisme athée", et pas n'importe laquelle : la psychanalyste et philosophe franco-bulgare Julia Kristeva, à la ville épouse du philosophe et écrivain français Philippe Sollers.
Kristeva est une figure de proue de la "post-chrétienté", et de l'intelligentsia française contemporaine, qui a enseigné le freudisme à Paris et à San Francisco. Elle est aussi connue pour ses nombreuses publications, dont un ouvrage absolument remarquable sur sainte Thérèse d'Avila, Thérèse mon amour (Fayard, 2008). J'avais eu l'occasion de la rencontrer lors de la sortie de ce livre : nous avions déjeuné ensemble à Paris. J'étais heureux de l'entendre dire, pleine de la révérence qui est la sienne pour la grande Thérèse, que la mystique carmélitaine pouvait résoudre les conflits intérieurs mieux que toutes les psychanalyses du monde! Tout en ne partageant pas la foi chrétienne, Kristeva est admirative devant le trésor que la foi chrétienne - et en particulier sa tradition spirituelle - peut apporter encore aujourd'hui en termes de construction humaine, personnelle et sociale.
J'ai eu l'occasion de suivre le message qu'elle a proclamé à Assise avant-hier, devant le pape et les autres responsables religieux : le temps des oppositions stériles est fini, disait-elle en gros. L'humanisme et les religions peuvent et doivent s'unir pour travailler ensemble à la paix des coeurs et des sociétés.
Enfin!

jeudi 27 octobre 2011

Le Conseil Presbytéral de Tournai contre le racisme

Réuni cet après-midi, et comme je l'avais je crois déjà annoncé dans ce blog, le Conseil Presbytéral de Tournai, avec son évêque, a adopté la résolution suivante, que je vous livre (en "primeur") :




Depuis quelques mois, des propos et des attitudes xénophobes ou racistes, malheureusement banalisés, deviennent monnaie courante dans nos démocraties d'Europe du Nord. Quelquefois relayés par des partis politiques, quelquefois présentés sous le couvert d'aimables plaisanteries diffusées par Internet, ces propos et ces attitudes ont régulièrement pour cible les personnes d'origine étrangère qui, pour toutes sortes de motifs, cherchent refuge chez nous et les personnes de diverses religions et cultures qui résident ou veulent résider dans notre pays. Comme prêtres de l'Eglise catholique, unis à notre évêque, exerçant ensemble au nom du Christ la charge pastorale dans le diocèse de Tournai, nous voulons déclarer avec force que ces propos et ces attitudes sont incompatibles avec la foi catholique, indignes de l'Evangile confié à tous les baptisés et que nous, en particulier, avons mission d'annoncer. Nous invitons les fidèles chrétiens à rejeter de leur coeur, de leur pensée, de leur pratique, toute compromission avec les idéologies identitaires qui déshonorent l'humanité même de l'homme. Nous croyons et nous proclamons que le Christ nous invite au contraire à une humanité généreuse, capable d'ouverture à l'altérité et à la rencontre, joyeuse de partager ses différences.


L'Evêque et le Conseil Presbytéral de Tournai






lundi 24 octobre 2011

Le travail du théologien

Réunion, cet après-midi, dans la paroisse, de personnes soucieuses d'approfondir leur foi.
Chacun(e) d'exprimer son sentiment : "Moi, je vois les choses ainsi, et moi ainsi, et moi ainsi... Et moi je vois les choses du point de vue du Magistère. Etc..."
Très bien.
Tous les points de vue sont légitimes, ou légitimables.
Qu'est-ce que je fais, là, sinon tenter d'apporter aussi un point de vue, qui est celui d'un prêtre et d'un théologien, c'est-à-dire à la fois membre de la "hiérarchie" a priori si décriée, et du Magistère critique des théologiens?
D'abord, renoncer à une pensée toute faite, sur mesure : parce qu'ils seraient médiatisés par des livres ou des émissions de télé, tel ou tel seraient le génie catholique du moment, incontournable si l'on veut repenser la foi, la culure et la rencontre des deux. Ouais...
Parce qu'ils seraient évêques, tel ou tel seraient la dernière parole de l'Evangile, et l'on devrait s'interdire de penser parce qu'ils ont dit leur pensée, certes autorisée et légitime, mais qui n'est pas, qui n'est jamais - ô combien!- la "dernière".
Car il n'y a pas de "dernière pensée" en christianisme. Il y a une pensée perpétuellement en mouvement, respectueuse des sources de la Tradition, l'Ecriture d'abord, sa Tradition interprétative ensuite (les Père en particulier), et puis le Magistère actuel, évidemment, qu'il faut lire et connaître avec révérence.
Mais en tout cela on ne voit que prémices d'une pensée, qui toujours dans l'Eglise est critique, argumentative et foncièrement libre.
La lecture de la Lettre aux Romains, dans la Messe de ce soir, nous rappelait que, par l'Esprit, nous sommes libres, fils et héritiers. Les fils ont leur mot à dire, tout de même. Ils sont responsables de l'héritage, ils n'en font pas n'importe quoi au gré de leurs sensations (il n'y a pas toujours de pensée là-dedans), mais ils gèrent, tous ensemble, un trésor qui leur est confié.
Faudrait-il donc être désormais théologien pour prendre la parole, en matière de religion?
Eh bien oui, évidemment. Non pas bardé de diplômes (ils ne font pas le théologien), mais soucieux d'une approche critique des questions, sans a priori, sans enthousiasme médiatique (toujours se méfier des médias et des personnages religieux médiatiques : très mauvais conseilleurs!) Bref, quand on veut parler des questions de la foi, il faut d'abord les étudier (nos grands frères Juifs nous rappellent cela sans cesse, notre religion primordiale est une religion de l'étude, pas de l'émotion).
Ferait-on un groupe d'étude sur des questions de médecine, de physique, de chimie, d'astrophysique, etc., sans d'abord s'inquiéter du point de vue des spécialistes de ces sciences?
Je suis toujours surpris que dans le domaine des religions, parce que certaines personnes "sentent que cela doit être comme cela", cela devienne une compétence, sans autre argument critique.
D'où le travail modeste - mais, pour ma part, déterminé - du théologien.

dimanche 23 octobre 2011

punctum

J'ai eu la joie de pouvoir visiter, la semaine dernière, avec un ami prêtre, l'exposition que le Musée Jacquemart-André, à Paris, consacre au peintre dominicain (et bienheureux!) Fra Angelico.
C'est une occasion rare de voir rassemblés des chefs-d'oeuvre de la peinture italienne (florentine, en particulier) du XVème siècle.
Partout, une récurrence : le punctum du tableau, son "point de fuite", car ces maîtres sont des maîtres peut-être d'abord de la perspective.
L'avant-plan compte moins que le point central où tout converge, et qui donne sens à tout : par exemple, une crucifixion, dans le lointain.
Dans une espèce de vie antérieure, je veux dire avant d'être doyen d'Enghien, lorsque
je m'occupais, entre autres, du service "Art, culture et foi" du diocèse, j'avais eu l'occasion d'installer à l'Abbaye de Scourmont une exposition d'art non figuratif, due à l'artiste bruxelloise Valérie Vogt, et qui, hors de toute considération religieuse, entendait redessiner le temps à partir d'un punctum. Je n'ai jamais oublié cette expérience, à la fois esthétique et spirituelle, d'une mise en place tout entière destinée à faire pressentir que le punctum est essentiel à une existence humaine. Dans le cadre d'une Abbaye cistercienne, blanche et nue, la démonstration prenait tout son effet. (Je n'ai plus guère revu Valérie depuis, j'espère qu'elle continue son oeuvre, importante pour tous. Quelquefois, je m'en veux un peu d'avoir trop brutalement tourné la page, mais bon, hein, le prêtre est ainsi fait : il essaie d'assumer totalement et le mieux possible les missions, l'une après l'autre, qu'on lui confie. Qu'ils ne m'en veuillent pas, ceux et celles qui peut-être pensent que je les ai "laissé tomber", ils restent là, dans mon coeur, mais je me suis tourné vers d'autres et on ne peut se tourner vers tout le monde à la fois!)

Quel est notre punctum? Nous pouvons bien accumuler les expériences, les rencontres, les travaux, les représentations, où est en nous la perspective?
Ah, ce Fra Angelico, ces dominicains, qui nous titillent là où nous voudrions rester dispersés...

samedi 15 octobre 2011

Mon père

15 octobre 1991 - 15 octobre 2011 : vingt ans tout juste, aujourd'hui, que mon père est mort, au jour où l'Eglise célèbre Sainte Thérèse d'Avila. Il allait avoir, quelques jours plus tard, 81 ans, c'était un fils de paysans grand et droit, qui avait connu dans sa vie la terrible épreuve de la déportation (cinq années en Allemagne, comme prisonnier de guerre, et une petite fille - ma grande soeur, elle aussi décédée aujourd'hui -, née en 1939, et qu'il ne connaîtra que lors de son retour en 1945). C'était un homme de sagesse, de décision, de bon sens, qu'il s'agisse de sa foi, des affaires de sa famille ou de son village, où il était secrétaire communal, une fonction rurale alors de grande proximité.
Du jour de son décès, je retiens un geste : aphasique, et partiellement paralysé après un AVC, il avait devant nous, leurs enfants, caressé de sa main valide la joue de ma mère, avec une tendresse sereine qui, lorsque j'y repense, me fait encore monter les larmes aux yeux. C'est le plus beau geste que j'aie vu dans ma vie, une espèce de bénédiction.
Ensemble, souvent, nous avions ri, nous avions jeté joyeusement des pavés dans quelques grands jardins solennels (y compris ceux de la Sainte Eglise) dont il m'a appris à n'être jamais dupe. Je crois que c'est de cela surtout que je le remercie lorsque je prie pour lui, ou mieux avec lui, et spécialement en ce jour anniversaire de sa naissance au ciel, son dies natalis.

mercredi 12 octobre 2011

Etre une communauté

Quand je regarde les tâches qui sont les miennes, ici à Enghien, et que je tente d'y trouver un commun dénominateur - ce qui, vu leur diversité, est a priori ou de l'extérieur assez difficile -, je vois ceci : il s'agit toujours d'essayer de faire une communauté. Etre présent aux écoles et m'inquiéter de leurs soucis; être présent aux malades; préparer des liturgies dominicales ou quotidiennes, avec ce que cela comporte de réflexion biblique en sorte qu'elle soit partagée; préparer des funérailles en rencontrant des familles; accueillir des jeunes gens qui souhaitent se marier et les accompagner; rencontrer enfants, jeunes et adultes qui veulent franchir une étape décisive dans la foi chrétienne, par habitude sociologique ou après une réflexion et un mûrissement davantage personnels; écouter la longue litanie des gens démunis d'argent, de moyens, de vivres, de logement, et surtout d'amour, qui viennent sonner à ma porte et tenter, avec l'aide de personnes dont je ne louerai jamais assez le dévouement, de trouver des solutions; m'occuper des finances de la paroisse, pour que le patrimoine et les biens récoltés lors des quêtes soient utilisés au service de tous et judicieusement répartis; veiller, grâce à l'aide précieuse d'un secrétariat très efficace, au suivi administratif des demandes, depuis leur premier accueil; rédiger ce blog, même, de temps à autre, dont il me revient que certains le lisent... etc., etc.,
au fond :
tout ceci n'a qu'un but, créer, recréer, tisser et retisser une communauté.
C'est-à-dire : un espace de rencontres, un multiforme lieu d'échanges, de partage, d'accueil, d'écoute, d'entraide, de croissance spirituelle.
Une espèce d'endroit, mais d'endroit qui bouge, dans lequel chacun puisse venir "poser ses paquets", si j'ose ainsi dire.
Et il y en a bien besoin : où sont-ils les moments et les lieux, dans notre société, où les gens speedés peuvent venir se raconter un peu avec l'espoir d'être accueillis, écoutés, voire attendus?
Je ne pense même pas d'abord aux détresses matérielles (plus nombreuses qu'on ne croit dans une ville bourgeoise et apparemment confortable comme Enghien), mais au "tout venant". Prenez une famille "normale" : papa et maman travaillent, rentrent tard, partent tôt, il faut conduire les enfants à l'école ou à la garderie, le week-end il y a aussi le sport et toutes les autres activités, et quelques sorties en famille, et heureusement la perspective des vacances où l'on pourra enfin se parler davantage, et le stress d'un budget toujours ric-rac, et de temps en temps la santé qui lâche, et... et... et...
Quels sont les endroits où l'on peut vraiment "aller poser ses paquets"? Il y en a, certes. Mais il sont peu nombreux.
Nos églises, notre Eglise, doivent servir à cela : offrir un lieu, un espace, un moment, un accueil, une écoute, un partage, une rencontre, pour des personnes qui, sans elles, sans Elle, n'auraient pas d'autre opportunité.
Il n'y a pas d'autre urgence que ce service rendu, au nom du Christ, comme signe du Christ : offrir une communauté.

jeudi 6 octobre 2011

La gratuité de la grâce

Il est extrêmement difficile de se défaire, dans l'ordre de la foi, de mentalités mercantiles.
Un exemple : les offrandes de messe. Les sacrements sont gratuits, on ne les paie jamais (ce serait, pour parler très exactement, de la simonie, par référence aux Actes des Apôtres). Mais une offrande libre est toujours possible, et les conférences épiscopales font une estimation raisonnable de ce que peut être une telle offrande. Il est évident que, si quelqu'un vient demander qu'on célèbre une messe à telle ou telle intention, sans avoir de quoi faire la moindre offrande, la messe sera célébrée!
Certains comprennent cela comme au magasin : j'ai payé trois messes, donnez-moi ma marchandise. Et pas un centigramme trop peu, je vous prie, je repèserai chez moi, pour voir!

Autre exemple : lorsque j'étais responsable de la catéchèse dans le diocèse (et dans les diocèses francophones belges), j'avais insisté pour qu'on renonçât définitivement aux "cartes de messes" par lesquelles on essayait de "fidéliser", voire de "contrôler" les enfants : il fallait qu'ils fussent venus tant de fois à la messe pour "avoir droit" à leur profession de foi, confirmation, etc. Un jour, étant vicaire dominical chez un curé qui pratiquait de la sorte et désireux d'appliquer ce que je recommandais pour tout le diocèse (malgré ce curé, donc), j'ai répondu à une petite fille qui, accompagnée de sa grand-mère, me tendait sa carte de messe : "Donne-moi ta carte, je vais te la signer jusqu'à la fin de l'année, comme ça tu seras tranquille!" La tête de la petite-fille! Et de la grand-mère! Et du curé, quand je lui ai raconté la chose!

Mais bon, il faut quand même avancer dans l'accueil de la grâce et de sa gratuité, et tourner résolument le dos à nos marchandages, non? Dieu ne marchande pas avec nous. Il donne tout. Et c'est gratis. Vouloir monnayer cela, vouloir payer ce qui est gratuit, c'est désirer en devenir propriétaire. C'est insulter Dieu...