mardi 27 février 2018

La religion, contre la barbarie

Il est de bon ton aujourd'hui, dans la société déclarée "post-moderne", de vomir les religions : ennuyeuses, passéistes, diviseuses, elles seraient toujours et partout fauteuses de troubles et génératrices de guerres. Bon. Tout n'est pas complètement faux là-dedans : nous savons qu'un sérieux discernement doit sans cesse être opéré à l'égard du "fait religieux" et que rien n'est plus dangereux que de les laisser prendre le pouvoir.
Faut-il pour autant prétendre qu'elles doivent rester dans "la sphère privée", qu'elles ne doivent jamais contredire le pouvoir politique, surtout dans des démocraties (mais qu'est-ce qu'une "démocratie"?) Je l'ai souvent répété sur ce blog : à mon avis, non. Les religions ont le devoir de s'exprimer dans la sphère publique, de donner leur avis, de déranger même les opinions majoritaires, au nom précisément de quelque chose qui dépasse la majorité et qu'on appelle "le bien commun".
Des exemples contemporains?
En veux-tu, en voilà.


- En Israël, à Jérusalem, proclamée "capitale" de l'Etat Hébreu par une puissance extérieure (ce qui est tout de même peu banal), les Eglises chrétiennes viennent de fermer l'accès au Saint Sépulcre. Geste dérisoire? Oh que non : ce sont des millions de dollars, venus du tourisme religieux, qui n'iront pas dans les caisses de l'Etat. Une manière à la fois symbolique et économique de protester contre la politique anti-palestinienne de l'actuel gouvernement d'Israël. Et Dieu sait pourtant (si Lui ne le sait pas, qui le sait?) qu'on aime Israël... mais on n'est pas nécessairement sioniste pour autant.


- En République "démocratique" (je mets ces termes entre guillemets, car ils sont aujourd'hui franchement immérités) du Congo, ce sont des Catholiques qui protestent contre le maintien au pouvoir du Président Kabila, au risque de leur vie (plusieurs tués, déjà), un maintien voulu évidemment par Kabila lui-même, mais surtout par les puissances étrangères (Chine, USA, France, etc.) qui le soutiennent, trop heureuses de profiter grâce à lui des ressources du sous-sol congolais (minerais, pétrole), le sous-sol probablement le plus riche du monde. Religion contre démocratie? Allons donc, disons : Religion - et très isolée, hélas - pour la démocratie.


- Chez nous, il aura fallu qu'un évêque (celui de Liège) dise sa désapprobation vis-à-vis de certaines mesures concernant "l'accueil" des étrangers, pour qu'on se souvienne de la dignité humaine, due à toute personne sur cette terre. Est-il normal de mettre en "centre fermé" des hommes, des femmes ou des enfants qui n'ont rien fait de mal, sinon chercher ailleurs que chez eux, où la vie est impossible, un refuge et un abri? Est-il normal de les traquer jusque chez des particuliers qui ont la décence et le courage de les recevoir? La religion ici a joint sa voix - celle, par exemple,  du pape, depuis qu'il est pape, chez les catholiques - à celle, si diverse dans ses provenances, de la société, magistrats, enseignants, chercheurs, associations de la "société civile", voix multiple qui proteste devant les mesures annoncées du Gouvernement. Protestation légitime : la loi n'est pas encore votée. Le Juif et le Chrétien, ici, se souviennent ensemble du prescrit de leurs textes sacrés, par exemple de ce verset de la Torah dans le Lévitique : "Quand un immigré résidera avec vous dans votre pays, vous ne l'exploiterez pas. L'immigré qui réside avec vous sera parmi vous comme un Israélite de souche, et tu l'aimeras comme toi-même,  car vous-mêmes avez été immigrés au pays d'Egypte. Je suis le Seigneur votre Dieu." (Lv 19, 33-34)


     Bref, les religions, quelquefois, dans le meilleur des cas, et nous en avons sous nos yeux quelques exemples pré-cités, s'opposent en effet à la barbarie. Et elles méritent donc, quelque gênantes qu'elles soient, d'être entendues dans le débat public.

dimanche 25 février 2018

Je vois des gens debout...

Retour du week-end devenu traditionnel que je passe chaque année avec mes amis d'Abbeville - toute une famille, et peut-être même une tribu! Retour ragaillardi, réconforté, par eux tous, après avoir célébré la messe pour Simon, l'un des leurs parti trop tôt voici une quinzaine d'années déjà mais dont on sent tellement la présence stimulante chez tous - et, pendant la messe, le baptême d'un neveu de ce Simon, deuxième fils de sa sœur, un petit bout de... dix jours! A craquer!
Chacun dans son genre, ils me requinquent tous, donc, moi le vieux trop sensible, sans doute, à ce qui ne va pas. Ils sont pour moi une espèce de visage humain et multiforme de l'espérance.
Et les textes de la liturgie nous donnaient à penser : le sacrifice interrompu d'Abraham, la Transfiguration - pas facile, de mettre tout cela ensemble, quand on célèbre en même temps l'anniversaire d'un décès et le baptême d'un petiot. Pourtant, tout fait sens : en testant la foi d'Abraham, Dieu renonce à nos (trop) humains sacrifices, et la mort d'un de nos fils ne saurait être sacrificielle. Lorsqu'il voudra que quelqu'un se donne tout entier pour manifester à quel point il aime l'humanité, c'est son Fils à lui qu'il enverra, pour que toute épreuve et toute défiguration soit désormais "transfigurée" comme Jésus sur la montagne. Et n'est-ce pas la foi que le baptême ouvre en ceux qui le reçoivent, rend possible en ceux qui l'accueillent?
Quelle fête, hier soir, que ces célébrations simples et simplement vécues, mais si denses...
Quand je les vois, tous, je vois des gens debout! Comme ça fait du bien!

jeudi 15 février 2018

Libérer Dutroux?

En voyant le "ramdam" que font les propos de Me Dayez, je me ressouvenais ce soir du grand livre de l'historien et philosophe Michel Foucault, Surveiller et punir (Gallimard, 1975), précisément consacré aux fonctions anciennes et contemporaines de la prison. La suppression des peines publiquement infligées a, dit l'Auteur, peu à peu enfanté le système contemporain et "panoptique" de la prison : le moins possible de surveillants ou de spectateurs pour observer une peine indéfiniment prolongée. Pour arriver à quoi? Aux fonctions de la prison, telle qu'elle devrait, précisément, "fonctionner" : punir, protéger la société, réinsérer.
Punir, la prison le fait, par l'isolement social qu'elle impose.
Protéger la société, aussi - sauf que, à la sortie, les ex-détenus sont souvent plus dangereux qu'à leur entrée; que, jeunes surtout, ils ont pu en prison se faire relier à de nouveaux réseaux et trafics, et qu'aujourd'hui, en prison toujours, ils ont pu être davantage "radicalisés" dans leurs convictions anti-sociales et pseudo-religieuses.
Réinsérer : malgré tous les efforts de tant de personnes, il semble que ce soit le point le plus difficile, l'échec le plus récurrent de l'institution.
Que faire? La sortie de Me Dayez a au moins le mérite de poser la question, car la question se pose de la façon dont une société traite ses délinquants. Quant à la réponse, franchement, elle demande un vaste, un immense débat, sans précipitation, sans acrimonie, sans confusion surtout entre la nécessité de punir et celle de se venger - la justice, ce n'est pas, ce n'est jamais la vengeance.
La foi chrétienne a-t-elle quelque chose à dire là-dessus?
Oui.
"J'étais en prison, et vous m'avez visité", dit Jésus dans les critères du Jugement Dernier (Mt 25), s'assimilant lui-même au délinquant emprisonné, à celui que la société rejette. Mais j'observe qu'il ne dit pas non plus : "Vous m'avez libéré." Ce qui est en jeu, c'est la compassion que l'on a manifestée pour le prisonnier, et non pas l'élargissement qu'on a fait de sa situation carcérale - cela c'est, cela reste, l'affaire de la Justice (au moins dans un pays démocratique.)
Le pardon, bien sûr, sera évoqué par les chrétiens. Mais le pardon - ce "don qui va par-delà" la faute, suppose une demande de pardon de la part du coupable, sinon c'est de la niaiserie. Or, il est très difficile à un coupable de se reconnaître coupable, c'est une espèce de défaite psychologique surtout quand on a toujours proclamé son innocence. Il faut pour cela le long travail, qui est essentiellement spirituel, d'une vérité faite sur soi-même - et au fond, elle n'est possible que face à Dieu, face à la lumière de Dieu, qui "sonde les reins et les cœurs", et c'est sans doute seulement devant Dieu que l'on peut demander pardon, à Dieu certes, mais aussi aux autres que l'on a durablement meurtris.
Faut-il libérer Dutroux?
Je n'en sais rien. Je comprends que la question soit posée - c'est une vraie question de société. En même temps, je n'ai jamais entendu que cet homme ait formulé la moindre reconnaissance de culpabilité, la moindre demande de pardon - il est, comme disent les psaumes, "enfermé dans sa suffisance", plus encore que dans sa prison!
Le guérir? Ce serait le guérir de lui-même - c'est peut-être demander beaucoup aux psychologues et aux psychiatres.
S'il se reconnaît coupable devant Dieu, il sera libéré intérieurement. C'est cela seulement qui compte, au fond - après, qu'il reste ou non en tôle, peu importe, il sera toujours, et on le comprend, un objet d'opprobre pour la société.  Je comprends que la société ne lui pardonne jamais ses crimes, qui sont horribles, et surtout s'il ne daigne pas les confesser! A l'extérieur de lui-même, il ne sera jamais libre - et c'est lui-même qui s'est enfermé dans cet enfer dont Dieu seul peut le sortir.
Il faut donc que la société s'inquiète du sort des prisons et des prisonniers, car la façon qu'elle a de "surveiller et punir"- Foucault l'a bien montré - est révélatrice de son état moral.
Et prier Dieu de libérer Dutroux - et certains autres - d'eux-mêmes et de ce qui les enferme en eux-mêmes. C'est beaucoup plus important que de le sortir de sa cellule...

dimanche 11 février 2018

L'Eglise Saint Sulpice, à Paris, doit trembler...

Chaque jour ou à peu près, on voit une tentative de saper les fondements démocratiques de notre société. Qu'un Ministre de l'Intérieur, membre de l'Exécutif donc, se permette de donner un point de vue, quel qu'il soit du reste, sur un procès en cours et l'argumentaire d'un avocat dans ce procès, c'est, plus qu'il n'y paraît, extrêmement grave. C'est une atteinte à la séparation des pouvoirs, qui est au fondement même de la démocratie contemporaine...
Si l'Eglise Saint Sulpice, à Paris, se met à trembler ces jours-ci, on ne s'étonnera pas : c'est Montesquieu qui se retourne dans sa tombe, lui qui a précisément défini cette séparation des pouvoirs comme la possibilité même d'un Etat respectueux du droit. Et qui, pour la petite histoire, est donc enterré (mais on ne sait pas où, exactement) dans l'Eglise Saint Sulpice ou à son chevet...

mercredi 7 février 2018

"Nos écoles"...

Ce matin, à la messe habituelle de 10h00, voilà qu'une ribambelle d'enfants venus des écoles paroissiales d'Enghien - des "quatrième", entre 9 et 10 ans - avaient comme "envahi" l'église Saint-Nicolas.
Une célébration avec les autres paroissiens, préparée par ces élèves qui, accompagnés de leurs directeurs et enseignants, firent montre d'un sérieux "pontifical"! Sans blague, qualité des chants, de la participation, des interventions, connivence avec l'orgue et son titulaire, recueillement... tout fut un beau moment de liberté intérieure et de vraie vie spirituelle.
Comment remercier assez ceux et celles qui, au quotidien, veillent dans "nos" écoles (et aussi dans les autres, bien entendu), au développement harmonieux, intégral, des enfants qu'on leur confie? Leur travail - administratif, pédagogique, éducationnel - est remarquable, et je songe également aux membres des Pouvoirs Organisateurs et Conseils d'Administration qui dirigent ces établissements avec une compétence et un dévouement exemplaires.
De tout cœur, je les remercie tous pour le bien qu'ils apportent dans notre doyenné...

dimanche 4 février 2018

De la musique, avant toute chose!

Hier soir, retour de funérailles vécues en famille, me voici plongé dans une autre atmosphère : la communauté paroissiale de Marcq fêtait les cinquante années de service de Jean-Paul, organiste non seulement à Saint-Martin mais aussi à Sainte-Anne (Labliau) et, quand il le faut, toujours fidèle pour accompagner des célébrations dans toutes nos communautés,  qui seraient sans lui, souvent, privées de musique et de chants.
Les chrétiens aiment la musique. C'est une banalité de le dire! Ils ont toujours accompagné leur vie de foi par les chants et les hymnes. Ils ont adapté l'orgue, devenu grâce à eux l'admirable instrument que l'on sait et qui fait la fierté de nos églises. Ils ont produit des quantités de mélodies diverses - de l'ambrosien au grégorien, sans compter les envoûtantes mélopées orientales. Ils ont permis à Bach d'exprimer son génie. A Bach, mais aussi à Mozart, aussi différents puissent-ils être (elle est de Varillon, je crois, cette plaisanterie : la musique officielle du Paradis, évidemment, c'est Bach. Mais les anges, quand ils sont en récréation, jouent du Mozart... Et Dieu vient écouter derrière la porte!) Ils ont mis l'Ecriture en musique - et si souvent, en particulier, les Psaumes.
Bref, de la musique, de la musique, de la musique!
Dans notre doyenné, dans nos paroisses, dans "notre" paroisse qui s'unifie, nous avons la chance d'avoir beaucoup de personnes qui comprennent cela, et qui le mettent en œuvre. J'ai déjà ici fait l'éloge des formidables concerts de Noël. J'ai aussi en son temps souligné la chance immense que nous avons d'avoir installé à l'église Saint-Nicolas des Orgues Kleuker qui font notre fierté et celle de la Région.
Le rôle plus solitaire des organistes mérite aussi d'être souligné. Et récompensé comme il vient de l'être en la personne de Jean-Paul, qui a reçu la médaille du "Mérite diocésain". Comme je le lui disais (c'est une formule qui me vient de mon père, titulaire pourtant de beaucoup de décorations) : "Une décoration, ça ne se demande pas, ça ne se refuse pas. Et, la plupart du temps, ça ne se porte pas!" Car ce signe qu'on reçoit et qui vous remercie, c'est dans son cœur qu'on le porte d'abord!
Merci Jean-Paul, et bravo!

Fécondité du ministère diaconal

Hier, à Landas, dans le Nord de la France, funérailles de mon cousin et ami Alain, présidées par le Vicaire Général du Diocèse de Cambrai, et durant lesquelles j'ai prononcé l'homélie. Célébration simple et sobre, recueillie et priante, à l'image du défunt. Beaucoup de tristesse dans les cœurs mais, aussi, une espèce de sérénité et même de joie - la joie chrétienne, plus forte que la tristesse de la mort. Des retrouvailles, pleines d'émotion, avec de nombreux cousins que j'ai trop rarement l'occasion de revoir. Les petits-enfants d'Alain qui jouent gravement autour du cercueil.
Et, surtout, une foule considérable : des centaines et des centaines de personnes qui défilent pour, comme on dit, "rendre un dernier hommage". On devine la fécondité du ministère diaconal : ceux et celles qu'il a rencontrés, accueillis, réconfortés, visités, soutenus, dans l'ombre la plupart du temps, mais qui ne l'oublient pas. Quel bonheur de voir combien le Peuple de Dieu, dans sa si grande diversité, a besoin de ce ministère ordonné qui incarne l'Eglise servante, qui en est le signe sacramentel et donc efficace. L'Eglise n'existe que d'être au service du monde, au service de tous, et de tant de façons.
Le reste, l'institution, et comme on dit à Enghien, le "tralala"?
Pfuit... On souffle dessus, ça disparaît!