vendredi 25 novembre 2022

Textes pour le temps de l'Avent

 Ce dimanche, avec l'Eglise entière, nous entrons en Avent (concrétion du mot "avènement"), l'un des plus beaux temps de l'année liturgique - une nouvelle année liturgique, qui s'ouvre précisément avec ce temps. L'Avent, espace où s'élargit notre désir, notre capacité d'accueillir celui qui vient, qui est déjà venu, qui reviendra, qui ne cesse de venir.

Je propose ici deux textes qui pourront, chacun à sa façon, non seulement illustrer mais encore nourrir ce temps béni.

Le premier est de saint Bernard (1090-1153), dans une Homélie pour le temps de l'Avent destinée à ses frères moines :

     "Nous savons qu'il y a une triple venue du Seigneur. (...) La troisième se situe entre les deux autres. (...) Celles-ci, en effet, sont manifestes, celle-là, non. Dans sa première venue, il a paru sur la terre et il a vécu avec les hommes, lorsque - comme lui-même en témoigne - ils l'ont vu et l'ont pris en haine. Mais lors de sa dernière venue, toute chair verra le salut de notre Dieu et ils regarderont vers celui qu'ils ont transpercé. La venue intermédiaire, elle, est cachée : les élus seuls la voient au fond d'eux-mêmes et leur âme est sauvée. Ainsi, il est venu d'abord dans la chair et la faiblesse, puis, dans l'entre-deux, il vient en esprit et en puissance; enfin, il viendra dans la gloire et la majesté. (...) Cette venue intermédiaire est vraiment comme la voie par laquelle on passe de la première à la dernière : dans la première, le Christ fut notre rédemption, dans la dernière il apparaîtra comme notre vie, et entretemps (...) il est notre repos et notre consolation. (...)"  (BERNARD de CLAIRVAUX, Hom. pour l'Avent 5, 1, éd. cistercienne, 4, 1966, p. 188.)

Le second est du Cardinal Pierre de Bérulle (1575-1629),dans un Sermon pour l'Avent :

     "Le temps de l'Avent du Seigneur (...) nous invite à rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu sur la terre, en nous anéantissant nous-mêmes devant lui. Pour nous, c'est seulement en cette vie que l'anéantissement a un sens. Au contraire, le Fils de Dieu se trouve pour jamais dans un continuel état d'anéantissement. En effet son état de gloire n'est pas en lui incompatible avec cet état d'anéantissement qui lui appartient. Car aussi longtemps que Dieu existera, il en sera de même pour l'anéantissement de sa divinité unie à la nature humaine par un noeud indissociable.  C'est pourquoi nous devons demeurer dans un continuel état d'anéantissement en cette vie pour rendre honneur à l'anéantissement si profond du Fils de Dieu : qu'il veuille bien l'accomplir lui-même en nous en vertu de sa bonté." (P. de BERULLE, Oeuvres complètes. 1. Conférences et fragments, introduction et notes par M. Dupuy, Oratoire/Cerf, 1995, p. 285.)

(Où l'on voit, par la récurrence du mot "anéantissement", que l'incarnation de Dieu connote durablement sa divinité, une divinité elle aussi "anéantie" dit Bérulle. Bel écho à la théologie de la "kénose" - du vide de Dieu en Jésus, qui a tant de mal à être intégrée dans la théologie contemporaine et dont on a tant de difficultés à percevoir les conséquences...)

     Bonne méditation et joyeux temps de l'Avent!

samedi 19 novembre 2022

L'étrange royauté du Christ

 Ce dimanche liturgique proclame "le Christ Roi de l'Univers" - une solennité décrétée par le pape Pie XI, en 1925, qui voulait affirmer par là que toutes les nations devaient obéir à la royauté du Christ!

Sauf que... l'évangile entendu aujourd'hui, un passage de la Passion selon saint Luc (Lc 23, 35-43) qui raconte les derniers moments du Christ en Croix, et l'adoption par lui de celui que la Tradition va appeler "le bon larron", sauf que tout cela donne en effet une étrange image de la royauté du Christ.

Roi sans couronne - sinon la couronne d'épine.

Roi sans trône - sinon l'instrument de supplice le plus dégradant à son époque.

Oui, étrange royauté. Et pourtant royauté! Oh non pas l'une qui ferait nombre avec nos terrestres royaumes (ou républiques, comme on veut... ). Ni, encore moins, qui leur ferait de l'ombre! La royauté du Christ, comme il l'a - cette fois d'après l'évangile de Jean - déclaré devant Pilate, "n'est pas d'ici".

Pilate... C'est pourtant lui, le païen, le non Juif, le Romain de service, qui a tenu à faire proclamer devant tous et pour toutes les générations la royauté de Jésus crucifié : "Roi des Juifs", a-t-il fait écrire, et en plusieurs langues, au sommet de la Croix, comme motif de la mise à mort. La vérité, une fois encore, est venue du dehors!

Mais, tout de même, étrange roi! Il n'y a pas plus exclu, pas plus paria, qu'un condamné à la Croix. Nous sommes ici dans les marges de la société bien-pensante, bien-croyante, bien-disante. Le crucifié est un rebut. Et donc, allons jusqu'au bout de cette fête liturgique : malgré les ambitions de reconquête qui sans doute animaient Pie XI, il aura fait savoir à tous, et pour toujours, que le Royaume attendu est une société - visible seulement à la fin du temps, mais dont il nous incombe de hâter la survenue  - où c'est le paria, le rejeté, l'exclu, qui est Roi.

Voilà comment, et pourquoi, le Christ est Roi.

jeudi 17 novembre 2022

La mort de Proust

 Il y a cent ans, le 18 novembre 1922, mourait à Paris Marcel Proust, âgé seulement de cinquante et un ans. Il aura été l'un des plus grands écrivains du XXème siècle, et probablement le plus grand.

Lire Proust, s'enfoncer avec lui dans "La Recherche du Temps Perdu" (titre générique de son Oeuvre), c'est vivre une aventure exceptionnelle. En tournant autour de ses souvenirs, l'écrivain ne souhaite pas tellement  brosser une fresque de la vie mondaine du début du Grand Siècle parisien;  il invite plutôt son lecteur à se plonger avec lui dans l'investigation de sa mémoire, à récupérer avec lui la vie qui s'enfuit si vite de chacun de nous. Le style - des phrases interminables qui tournent et tournent autour de leur sujet - font comme une longue liane que l'on agrippe, pour descendre, grâce à ce travail littéraire, dans les profondeurs du soi.

Heureusement qu'il y a Proust... heureusement qu'il y a l'écriture de Proust, et l'infatigable expérience qu'il nous invite à partager.

dimanche 13 novembre 2022

Deux visages de la religion...

 Cette semaine, les médias nous donnent à voir deux visages bien contrastés de la religion. L'une tient à l'institution - longue litanie des évêques et des prêtres coupables de faits de moeurs répréhensibles, et/ou de non dénonciation de ces faits. C'est en France, c'était en Belgique il y a dix ans : à l'arrivée, même sentiment de nausée devant une institution qui, comme toutes les institutions du reste, a d'abord cherché, cherche peut-être encore trop, à se protéger, sans penser aux victimes ainsi délaissées. Honte, honte nécessaire...

De l'autre, l'annonce de la sortie du film "Reste un peu", de l'humoriste Gad Elmaleh, qui raconte là son coup de foudre pour la religion chrétienne (il est juif d'origine), avec humour, avec tendresse, avec respect pour tout le monde. Ses prestations télévisuelles pour la promotion de son film sont comme un souffle bienfaisant, une fraîcheur délicate.

La religion peut produire le pire et le meilleur. Si l'on se mettait enfin à éviter le pire, pour promouvoir le meilleur! 

dimanche 6 novembre 2022

Ressusciter

 L'évangile de ce jour, en saint Luc, nous montre Jésus en dialogue et en opposition avec les Sadducéens - rétifs, eux, à la foi en la résurrection. Notre époque aussi, et nos contrées, sont pareillement réticentes à envisager cette perspective - l'ici-bas serait notre seul horizon de vie, après la mort il n'y aurait plus rien. Beaucoup de nos contemporains partagent cette conviction matérialiste.

Pourtant, il y a en chaque être humain une aspiration à l'éternité - Pascal, dans ses Pensées, notait : "L'homme passe infiniment l'homme"... Les chrétiens s'appuient sur l'enseignement du Christ, tel qu'il nous est rapporté aujourd'hui : leur vie, croient-ils, sera à la fois continuée et transfigurée dans un au-delà qui n'est pas simple survie, mais épanouissement complet de leur être. Et ils s'appuient aussi, et surtout, sur le coeur de leur foi : Jésus qui est mort réellement est aussi réellement ressuscité, vivant d'une vie inédite qui n'est pas la reprise de son existence terrestre, mais une vie nouvelle, la Vie avec un "V" majuscule.

Lorsque le Symbole de Nicée-Constantinople, le plus long de nos Symboles de foi, évoque cette réalité, il change de verbe. On ne dit plus "Credo", on dit "Et exspecto" : notre manière de croire à la vie éternelle consiste à l'attendre avec persévérance, avec enthousiasme. Nous vivons tendus vers elle, c'est elle qui motive nos choix et nos engagements présents dans l'ici-bas. Cette manière d'y croire porte un nom : c'est l'espérance!