samedi 28 mars 2020

Saint Jean, ch. 11

Demain, cinquième dimanche de Carême, autre évangile johannique, autre récit époustouflant : au chapitre onzième de l'évangile de Jean, le récit de la résurrection de Lazare.
Jésus appréciait  Lazare et ses sœurs, le texte le rappelle - Béthanie était une maison où il aimait à venir chez ces proches. On lui annonce la maladie du frère, Lazare, et, dans une conversation alambiquée que les disciples ont du mal à suivre, il dit d'abord que "cette maladie ne sera pas mortelle", et il ne change en rien le programme de ses journées! Puis, pressé de questions, il ajoute : "Lazare s'est endormi… Lazare est mort", mais là aussi il donne à entendre, comme pour la cécité de l'aveugle-né, que cela servira la gloire de Dieu.
Et il finit par se mettre en route pour trouver son ami "au tombeau depuis quatre jours déjà", et, bien sûr, à encourir le reproches des deux sœurs, Marthe d'abord et Marie ensuite : "Si tu avais été là, mon frère ne serait pas mort."
Objection première "contra Deum" : si Dieu était, s'il était là, présent en son Sauveur, nous ne pourrions plus mourir, les affres de la dégradation, de la maladie, de la séparation, nous seraient épargnées. On se moquerait du "Covid 19" et de ses sbires, les autres assassins de l'humanité, de notre si précieuse humanité, vouée - c'est tellement clair! - à l'encontre des autres espèces, à une sorte d'éternité naturelle.
A Marthe, Jésus répond par une parole : "Ton frère ressuscitera." Et par une autre, qui la double et l'actualise en quelque sorte : "Moi, je suis la résurrection et je suis la Vie. Tout homme qui vit et croit en moi, même s'il meurt, il vit. Crois-tu cela?"
Question à nous posée, au cœur de ce drame mondial que nous traversons… "Crois-tu cela?" On me permettra de penser ici, dans cette méditation, à tous ceux, toutes celles qui font des efforts désespérés, au prix de leur propre existence, pour retenir la vie qui s'en va. On me permettra de penser aux familles qui n'ont plus le droit de commencer seulement leur deuil en s'embrassant autour d'un cercueil… "Celui qui vit et croit en moi, même s'il meurt, il vit. Crois-tu cela?"
Arrive la petite Marie, la petite sœur, celle qui toujours pointe son nez après la grande Marthe : même reproche. Et Jésus, là, est, nous dit-on, ému au plus profond. Il est le Dieu qui compatit à nos deuils, il veut lui aussi voir la tombe de Lazare, malgré le nombre de jours passés depuis la mise au sépulcre - "Il sent déjà", lui a-t-on dit de façon on ne peut plus réaliste.
C'est que Jésus est non seulement ému, mais en colère. Il a entendu les réflexions de certaines personnes assemblées là, et qui mettent en doute son amitié réelle pour le mort : "Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il empêcher Lazare de mourir?" Tas d'imbéciles! Peut-on empêcher quelqu'un de mourir, quand l'heure est là?  Peut-on dire  que la vie, par des prolongements de magiciens, va devenir "immortelle"? Oh non bien sûr, ils n'ont rien compris à ce que Jésus apporte comme salut : ce salut n'empêche pas de mourir (ni du corona, ni du reste), il offre autre chose.
"Lazare, viens dehors!" Jésus fait quelque chose qu'il n'aurait pas voulu faire : il fait revenir Lazare sur ce bord-ci de la vie. Et pour le mort, ce n'est pas un cadeau : car, sorti de sa tombe, le pauvre homme va devoir "re-mourir" (et ce n'est déjà pas drôle de mourir une fois!) C'est un signe que Jésus veut donner à tous de la puissance de Vie qui habite en lui, qui va nous rechercher dans nos tombeaux, quels qu'ils soient.
"Déliez-le, dit-il encore, et laissez-le aller." On imagine ce mort-vivant ébloui par le soleil, qui va reprendre pied, pour un temps, dans le monde de l'ici-bas. Il aura été un signe de la puissance de Vie que Jésus offre à tous. Une puissance de liberté : "Déliez-le", indique non seulement qu'il faut lui enlever les bandelettes qui enserraient son corps défunt, mais qu'il faut lui laisser vivre, maintenant, cette grande et neuve liberté que nous offre la mort - y songeons-nous assez, nous qui ne la voyons que comme un drame de séparation?
Evangile encore baptismal : l'eau du baptême, disent les Pères, c'est notre tombe, nous nous y engouffrons pour mourir à la vie terrestre et ressusciter avec le Christ à une vie nouvelle. Non pas, comme pour Lazare, une "resucée" de vie terrestre, mais la Vie enfin débarrassée de la mort, la Vie éternelle.

jeudi 26 mars 2020

Petit virus, grands effets...

Nous ne savions pas d'où viendrait l'effondrement, mais nous étions nombreux à l'attendre, car il était inévitable.
Les discours, même scientifiques, même exacts, même précis, restaient lettre morte : des discours de Cassandre, qui ne prévoit que le pire et n'est pas entendue, évidemment.
Il fallait quelque chose, une catastrophe, et la machine était si bien huilée que nous ne pensions pas qu'elle pût venir : les Etats se surveillaient, se tenaient en respect, quelquefois se menaçaient. La crise des migrants servait de combustible - l'Europe là-dedans a payé cher, et continuera de payer cher,  sa trahison en "vendant" en quelque sorte ces pauvres gens à la Turquie, qui nous les rend, une fois la somme empochée. Traîtrise pour traîtrise - en attendant, c'est la Grèce qui paie la première addition, dans les îles du  Dodécanèse jouxtant le vieil ennemi de toujours.
Il aura fallu une poussière, invisible à l'œil nu, un virus - même pas un animal - qui se propage à la vitesse de l'éclair et ne connaît pas de frontières.
Et tout s'écroule.
On ferme!
On ferme tout : écoles, industries, restaurants et cafés, églises et temples, et même le Vatican. Finis, les voyages d'agrément et même de travail. On ferme tout, vous dis-je!
Restez chez vous!
Et, de fait, c'est dans l'immédiat la meilleure chose à faire : rester chez soi, retrouver l'autarcie, la solidarité basique des voisinages, la chaleur d'un sourire envoyé de loin.
Et nous avons de la chance : imaginez cela sans les réseaux sociaux, par exemple au XIXème siècle, sans téléphone, sans télévision, sans informatique, sans internet, sans… rien!
Les conséquences? Incommensurables. Rien ne sera jamais plus comme avant : des pans entiers de l'économie mondialisée vont nécessairement s'effondrer, la géo-politique en sera durablement revisitée, les habitudes de vie, bouleversées.
Est-ce un mal? Ne qualifions pas trop vite le changement. Mais notons-le : c'est un tournant, un tournant majeur de la civilisation humaine.

dimanche 22 mars 2020

Saint Jean, ch.9...

Cette année, nous lisons aux troisième, quatrième (aujourd'hui) et cinquième dimanches de Carême de longs chapitres de l'Evangile de Jean. Ainsi, le récit en Jn 9 de la guérison de l'aveugle-né.
Certes, il y a le fait historique : Jésus a guéri un aveugle qui jamais n'avait vu, un aveugle de naissance. Mais comme souvent en saint Jean, derrière le fait se donne à vivre une autre épaisseur : cet aveugle, c'est nous, c'est l'entière humanité qui, de naissance, peine à voir. Plus une affaire d'aveuglement que de cécité…
Dès le départ du récit, les disciples voudraient ramener Jésus vers de la culpabilité : qui est coupable, dans cette histoire, les parents de cet homme ou lui-même, pour qu'il soit né aveugle? Oh, il nous arrive bien souvent aussi de chercher des coupables et des culpabilités dans nos histoires de maladies - attendons que le confinement soit passé, on verra des têtes tomber, comme si les épidémies n'avaient pas toujours été là! Jésus répond vite, et franchement : personne n'est coupable. Ce n'est pas vers l'arrière qu'il faut regarder, mais vers l'avant : cet homme est là, devant eux, aveugle, "pour que soient manifestées les œuvres de Dieu"...
Et l'œuvre de Dieu, c'est une œuvre de salut. Jésus mêlant sa salive à de la boue (j'imagine qu'aucun ophtalmo contemporain ne serait d'accord sur cette technique) applique ce remède sur les yeux de l'aveugle, et lui dit d'aller se laver dans la piscine de "Siloé" (c'est-à-dire : l'Envoyé). L'homme obtempère, et revient, guéri.
Mélange du terreau humain et de la salive divine : c'est Jésus, l'Envoyé de Dieu, qui a guéri l'aveugle pour en effet manifester "les œuvres de Dieu".
Et cela suscite une espèce de procès : a-t-il fait cela dans les règles (c'était un jour de sabbat)? Pour qui se prend-il? Pour qui le prend-on? On va jusqu'à convoquer les parents du pauvre aveugle guéri et on les terrorise quasiment…
Jésus, le juste Juge, va dire la vérité de ce procès spirituel : lui, l'Envoyé, est venu pour que ceux qui croyaient voir soient plongés dans les ténèbres et pour que voient ceux qui ne voyaient pas… Autre manière encore de parler des "œuvres de Dieu" ainsi manifestées.
Evangile baptismal bien sûr : l'aveugle s'est lavé dans l'eau de l'Envoyé, et le baptême, dans les premières générations chrétiennes, sera longtemps appelé "le sacrement de l'illumination". Evangile de scrutin pour les catéchumènes : veulent-ils, par le baptême, quitter leurs ténèbres et se tourner vers la vraie lumière, qui est le Christ?
Le confinement nous pèse : il risquerait, si l'on n'y prend garde, de nous racrapoter, de nous replier sur nous-mêmes. Mais je l'ai dit déjà dans un post précédent : il peut aussi nous donner le temps de nous ouvrir à la lumière intérieure, et de nous retourner vers l'hôte qui nous attend en nous-mêmes pour nous guérir de nos aveuglements.

lundi 16 mars 2020

Que faire du confinement? Sortir "à l'intérieur"...

Nous voilà confinés et, pour paraphraser la Bible, "pour combien de temps, nul d'entre nous ne le sait"... Confinés, priés de rester chez soi.
Et même les activités les plus sacrées, celles qui eussent pu nous faire sortir de chez nous - songeons, pour les chrétiens, aux messes, aux conférences de carême, aux concerts spirituels, aux rencontres catéchétiques, etc., oui, tout ce qu'il y a de mieux argumenté, le voilà interdit : même les rencontres entre amis, mêmes les repas conviviaux.
Contraints au chez soi.
Qu'est donc ce "chez soi"?
Oh, une vie domestique, sans doute : repas, vaisselle, entretien de tous les jours, lecture des journaux et regard sur la télé, et aussi, pour beaucoup, la "toile", les réseaux sociaux, tout ça, oui…
Mais si ce confinement était une chance, enfin une, de descendre dans le "chez soi" intérieur - d'aller dans les profondeurs insoupçonnées, là où l'on ne s'enfonce guère, voire jamais, sauf avec une certaine terreur? Car il y faut du temps, du loisir - et le loisir, ça y est, maintenant, nous l'avons, il nous est imposé! Car il y faut surtout de l'audace, et c'est là que tous nos faux-fuyants ne feront pas le poids : va, n'aie pas peur de descendre en toi-même, en tes profondeurs et tes obscurités.
Tu n'y es pas seul(e).
La rencontre décisive, celle qui change tout, pourrait bien se jouer là, et maintenant!

vendredi 13 mars 2020

Un virus qui peut nous aider...

Les mesures prises hier par les autorités de notre pays peuvent apparaître comme extrêmement rigoureuses - et elles le sont : plus de rassemblements, plus de messes par exemple, plus de restaurants, plus de sorties, le confinement autant que possible.
Mais ces mesures, en même temps, ont une caractéristique intéressante : elles visent à protéger le bien commun, non pas les biens particuliers des individus, mais le bien d'une communauté de vie - un pays, une nation, comme on veut. Les particuliers, ou au moins certaines catégories, risquent d'y perdre : pensons à tout le secteur Horeca, et il faudra les aider et les soutenir. Mais la communauté humaine qui vit en lieu va nécessairement y gagner, quand on sait que seules ces précautions peuvent ralentir et, à terme, affaiblir et faire disparaître l'épidémie. Sans elles, nous serions dans une situation sanitaire proche de celle de l'Italie : hôpitaux surchargés, manque de soins par manque de place et de structures, mortalité sans cesse accrue.
"Se serrer les coudes" : un pas vers la prise de conscience que le bien n'est pas seulement, ne peut pas être seulement, le bien de chaque individu selon son désir propre, mais qu'il est aussi et toujours le bien "commun", non pas l'addition de biens individuels, donc, mais le bien d'une communauté. Cela, c'est une prise de conscience salutaire, et en ce sens, oui, le virus peut nous aider!

mercredi 11 mars 2020

Drole de Carême...

Les mesures commencent à pleuvoir : pour se protéger du "Coronavirus", il faut arrêter de se trop fréquenter. Ainsi, en région wallonne, finies les visites dans les maisons de repos pour nos seniors - on comprend, il sont les plus fragiles. Finis, dans les écoles, les voyages formatifs à l'extérieur. Finis, les voyages tout courts vers l'Italie où tout et tout le monde est confiné.
Je continue de penser qu'on "ne nous dit pas tout", pour reprendre l'expression d'une humoriste française célèbre. De telles mesures indiquent à l'évidence la dangerosité de ce virus.
En même temps, il stigmatise notre fragilité sociale : les bourses s'effondrent, les circuits économiques se grippent, les voyages s'arrêtent.
Et, sous la contrainte, certes, on doit rester chez soi peut-être avec la douce impression de "revivre". Se retrouver, se rassembler, vivre plus en phalanstère, moins être à l'extérieur de soi, contraint à retrouver de l'intériorité…
Tout cela n'est pas perdu! Bien sûr, souhaitons prompt rétablissement aux malades, prévenons les infections en suivant les conseils prophylactiques qu'on nous donne, oui, bien sûr.
Mais vivons plus "à l'intérieur"...
Quel Carême, bon sang, quel Carême!

dimanche 8 mars 2020

Abraham, le mystère de la foi

La première lecture de ce dimanche, extraite du Livre de la Genèse (Gn 12, 1-4), nous rapportait l'appel d'Abraham, cet appel impérieux qui est, si j'ose dire, un ordre de quitter le territoire : "Quitte ton pays, ta famille, la maison de ton père, va dans le pays que je t'indiquerai…" Oser quitter, non seulement un lieu, mais davantage encore un a priori, un tic de pensée, une idéologie, partir pour rejoindre, on ne sait où, un ailleurs, un autre point de vue : la foi est un voyage. Du reste, à cette demande radicale de Dieu est accouplée une promesse : "De toi, je ferai un grand peuple, je te bénirai, je bénirai ceux qui te béniront…" Si l'on n'entendait pas la promesse, comment pourrions-nous partir?
Quitter sa tristesse pour la joie.
Quitter sa peur pour la confiance.
Quitter ses protections pour le dénuement.
Se quitter, soi, pour l'autre.
Et toujours recommencer…


Le chemin d'Abraham sera ponctué d'autres appels, plus déstabilisants les uns que les autres - ainsi la demande de sacrifier Isaac, son unique fils.
Le carême nous rappelle que nous sommes des enfants d'Abraham, par cette foi qui nous vient de lui, et qui n'est pas une adhésion extérieure à un amoncellement de doctrine, mais l'audace du grand départ toujours recommencé.


J'ai relu les pages éblouissantes que le philosophe Sören Kierkegaard consacre à Abraham, modèle indépassé d'après lui de l'humain accompli, dans Crainte et Tremblement. Pages terribles, à la hauteur du personnage - on n'a jamais rien dit de mieux sur le "père des croyants" (par exemple dans S. KIERKEGAARD, Œuvres, I, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade,  trad. R. Boyer, 2018, p. 879-975).


Le Carême, pour garder l'audace de la foi, et retrouver l'immense liberté qu'elle nous offre… Le Carême, avec Abraham!

samedi 7 mars 2020

Et si on arrêtait de nous prendre pour des cons...

Je ne suis ni médecin ni encore moins infectiologue. J'observe : une épidémie virale se propage dans le monde, et deux types de réactions - contradictoires - nous sont proposées, quelquefois par les mêmes gouvernements :


1° Rien de trop grave, lavez-vous les mains, bonnes gens,  ne toussez pas à proximité d'autres personnes, etc., et ainsi l'épidémie reculera. Bon moi je veux bien et cela me rassure…
2° En même temps, je n'ai jamais vu aucune mesure aussi drastique prise, par exemple dans les églises : fini le baiser de paix potentiellement contagieux, ou le serrage de mains, finie la communion trop risquée sur la langue, ou pire encore la communion au calice, au "Précieux Sang"... Et que les bénitiers soient vidés pour éviter toute contamination par leur eau. Jamais, depuis trente ans, je n'ai vu des demandes aussi strictes rien que dans le domaine de la liturgie, ni pour la grippe, ni pour le Sida, ni pour l'Ebola ni pour rien…  Et, dans certains diocèses français, les messes elles-mêmes - rassemblements potentiellement contagieux - sont interdites.


Je ne suis donc pas médecin. Mais quand même : ou bien ce n'est qu'une grippe, et on nous lâche. Ou bien c'est bien plus grave et, malgré les retombées économiques et commerciales, on nous secoue.
Nous ne voulons pas être pris pour des cons.


Qui nous dira la vérité?