dimanche 31 mars 2019

Dedans, dehors...

La parabole lucanienne, entendue aujourd'hui, et qu'on appelle souvent "du Fils prodigue", est en réalité une histoire qui met en scène deux fils (le cadet et l'aîné) et leur Père. Ce dernier est miséricordieux, comme Luc - et Jésus, bien sûr - veulent que nous découvrions la miséricorde de Dieu, ou plutôt que Dieu est miséricorde. Et la miséricorde bouleverse tout, déplace les frontières que nous pensions bien établies entre le vice et la vertu, entre les hommes. Non pas les observants d'un côté, qui auraient fait le bon choix et seraient figés dans leur salut, et les déviants de l'autre, qui seraient à jamais perdus.
Non.
Dans la parabole, celui qui était dehors (le cadet, le prodigue) se retrouve dedans, au milieu de la maison du Père, et avec quelle fête!
Et celui qui était dedans (l'aîné), de sa faute - car c'est lui qui refuse d'entrer, de se montrer complice de la situation - se retrouve dehors.
Immense bouleversement.
Dans nos églises, dans nos communautés, dans notre Eglise : ceux qui se pensent toujours "dedans" risquent, s'ils ne convertissent pas leur cœur, de se retrouver dehors - ça va vite!
Ceux qui sont stigmatisés comme ceux du dehors sont souvent au cœur du cœur.
Dans le monde, aussi - et je retrouve le thème de nos conférences de Carême, notamment la question de frontières évoquées avec talent mardi dernier par Stanislas Deprez : les rejetés, ceux du dehors, sont ceux du dedans, du cœur de Dieu. Le pape vient de le dire aux réfugiés qui se trouvent au Maroc pour l'instant - ce sont les préférés.
Dedans, dehors : les frontières, nous rappelle la Parabole de ce matin, sont fluides. Elles ne tiennent qu'à la miséricorde de Dieu - et à la nôtre, en retour.

jeudi 21 mars 2019

La lucidité du Ministre Eyskens

Mardi 19, à Enghien : première conférence de Carême sur le thème des "Migrants et Migrations". Le Ministre d'Etat, Mark Eyskens, étonne tout le monde  par la fraîcheur et la vigueur de sa pensée - oserait-on dire qu'il aura quatre-vingt-six ans le mois prochain?  Le problème des migrations, il le recadre dans le contexte plus vaste des changements globaux qui affectent notre planète : démographique, scientifique, culturel, climatique, économique.
Une urgence, dit-il : que les hommes et femmes politiques européens prennent à bras le corps cette question dans toute son ampleur. En particulier, qu'un partenariat nouveau s'établisse très vite, assorti d'importants moyens financiers, avec le Continent africain, pour le gérer en vue du bien de tous - ce Continent malmené, qui se désertifie, et dont la population va plus que doubler d'ici une dizaine d'années, ce qui va engendrer un afflux massif de migrants. L'Europe politique actuelle, avec dans bien des pays des mesures protectionnistes et populistes  incapables de rien résoudre, va vers sa perte si elle ne retrouve pas une voie de solidarité inspirée par la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948.
C'est une voie humaniste, certes. C'est éminemment, conclut-il, la voie chrétienne.


La semaine prochaine, le 26 : qu'est-ce qu'une frontière? Comment s'établit-elle entre peuples et nations? Comment se transgresse-t-elle, de quel droit et à quel prix? Stanislas Deprez, philosophe, connaît bien ces questions dont il montrera qu'elles ne sont pas théoriques, mais éminemment concrètes pour le sujet qui nous occupe…

dimanche 17 mars 2019

Transfiguré, défiguré...

Tout ce qui nous défigure, les salissures sur nos visages, les pleurs et les cris de douleur, le Christ les prendra sur lui au moment tragique du Jardin d'agonie, entouré là encore de Pierre, Jacques et Jean - les trois mêmes apôtres que ceux de la Transfiguration. A ce moment-là, ils seront aussi accablés de sommeil, un "sommeil de tristesse" dit l'évangile de Luc, assommés par la mystérieuse tragédie de l'humain. Mais avant, sur la montagne, malgré leur envie de dormir, ils avaient veillé assez pour voir quelque chose de la gloire de Jésus…
Tout ce qui nous défigure, qui défigure nos cœurs et nos vies, nos institutions (ô combien), nos engagements, nos frêles alliances, nos pauvres fraternités, tout cela, qui est bien réel, n'est pas le dernier mot de notre condition. Tout cela servira de matière première à la grâce, et sera retourné en gloire - c'est le rêve de Dieu sur l'humanité, que Bernanos appelait "la douloureuse espèce."
Deuxième dimanche du Carême - dimanche d'espérance!

jeudi 14 mars 2019

La mort du Cardinal Danneels

Il n'était pas mon évêque, et pourtant nous nous sommes beaucoup vus. Il a traversé mille et une critiques, en ce compris de la part de chrétiens et de prêtres, avec la sagesse d'un bonze… Je retiens de lui quelques maximes et conseils, dont j'apprécie avec le temps la pertinence, comme ce mot  :
- "Si tu veux rester prêtre, apprends à être seul. Tu dois assumer ta solitude. Un prêtre meurt seul. Il doit le savoir, on devrait le dire plus souvent."


Cher Cardinal, vous aimiez tant le Père, vous viviez tant dans son intimité. Celle-ci est maintenant parfaite.

dimanche 3 mars 2019

"Une fois sorti de l'enfance, il faut beaucoup souffrir pour y rentrer..."

La petite Lucie est morte mercredi dernier, et je vais présider ses funérailles mardi matin à Petit-Enghien. Les parents - admirables de courage - ont choisi, dans l'Evangile de Marc, ce passage où Jésus demande de "laisser venir à lui les enfants, car son Royaume est à ceux qui leur ressemblent."
Choix judicieux.
Je songe aux contrefaçons par lesquelles certains responsables d'Eglise ont perverti cette demande de Jésus, les pédophiles et leurs protecteurs, cachés dans l'ombre nauséabonde de l'Institution et plus soucieux de la protéger que de défendre l'enfance. L'Eglise - c'est vous, c'est moi - en souffre, l'Institution aura de la peine à s'en relever (et tant mieux, qu'elle soit à terre un moment n'est pas pour me déplaire) : quelle leçon d'humilité! J'ai appris à me méfier, toujours, des institutions…
Je prépare ma leçon de demain, à la Faculté de Théologie de Louvain, qui va porter sur la spiritualité dans certains textes de Bernanos. Je parlerai longuement de ce mot, des Dialogues des Carmélites : "Une fois sorti de l'enfance, il faut très longtemps souffrir pour y rentrer…" C'est le vrai commentaire que l'on peut apporter à la demande de Jésus : redevenir enfant, récupérer l'enfance en soi, pour entrer dans le Royaume.
Non pas par naïveté, car l'enfance est exigeante.
Par la curiosité qui est celle de l'enfance, qui ne s'étonne pas de recevoir le monde en cadeau, qui ne trouve pas étrange que tout lui soit dû. Qui trouve que la gratuité est normale, est le mode normal des relations humaines, qu'on peut et qu'on doit vivre dans un monde où l'essentiel n'est pas monnayable, où les réalités les plus vivifiantes ne s'achètent pas et ne se paient pas : le monde de la grâce, que précisément Bernanos a si bien décrit sans ses romans et son théâtre.
J'ai passé mon Week-end chez ces amis du Nord de la France que je connais depuis si longtemps, chez lesquels j'ai marié et baptisé tout le monde, et j'ai assisté, émerveillé, à la multiplication des bébés. Des bébés choyés, bercés, mais bien à leur place (pas rois pour autant, pas centres du monde), qui vont apprendre, dans une pareille tribu de cousins, d'oncles, de tantes et de grands-parents, à bien grandir dans l'amour de la Vie.
Lucie a eu cette même chance, je l'ai bien vu en rencontrant longuement ses parents et ses grands-parents.  D'où elle est, qu'elle bénisse ce monde de l'amour, ce monde de la grâce, qui, si on le veut bien, ne connaît pas de frontières avec le nôtre.