dimanche 31 mai 2020

Digitus paternae dexterae...

Aujourd'hui, nous avons avec la Pentecôte célébré l'effusion de l'Esprit de Dieu sur l'Eglise et sur le monde. Pas seulement un événement historique, mais un événement quotidien, dont nous sommes encore loin de percevoir tous les effets. Pour les chrétiens, la "spiritualité" consiste en effet non tant en l'exploration de l'esprit personnel, qu'en l'accueil de l'Esprit de Dieu, et à ce qu'il produit dans le cœur de qui veut l'accueillir. En chacun il porte des fruits identiques et pourtant particuliers, en chacun il ouvre des charismes…
La très belle hymne de Pentecôte, venue de notre Moyen Âge, le Veni Creator Spiritus ("Viens, Esprit Créateur") nous fait dire de l'Esprit, entre autres formules magnifiques, qu'il est Digitus paternae dexterae, "le doigt de la droite du Père". Le Père ne cesse de nous faire, il est "Créateur", mais avec l'Esprit, c'est toute la finesse de la création qui est à l'œuvre : c'est désormais le doigt de l'artiste qui achève en chacun cette créature unique que nous sommes, et qui nous dessine "à l'image et ressemblance de Dieu"  pour reprendre une parole de la Genèse cent fois commentée par les Pères.
Laissons-nous modeler par l'Esprit, il affinera nos sens et les rendra "spirituels"...

dimanche 24 mai 2020

Sur la démocratie...

Le tapage médiatique provoqué par la pandémie qui nous affecte souligne, me semble-t-il, parmi beaucoup d'autres éléments, la fragilité de nos démocraties.
D'abord, on les voit soumises à des diktats extérieurs - en l'occurrence, celui de la science, et de la science médicale. La place qu'autrefois la religion a occupée comme "référent" du politique, la voici à l'évidence prise par "la" science - les médecins semblent dicter au politique, même s'il s'en défend, la conduite à tenir. Evidemment, on peut s'en réjouir en se disant que certaines attitudes ne doivent pas être soumises à la légèreté de l'arbitrage démocratique, et que c'est pour le bien de tous. N'empêche : il y a là un poids que "la" science revendique et qui, à terme, pourrait devenir aussi dangereux que le rôle, je le répète, autrefois tenu dans nos sociétés par la religion - et en certains pays, encore aujourd'hui, on sait avec quelles conséquences. D'autant que "la" science, et c'est pourquoi je mets des guillemets, apparaît alors comme un référent incontestable. Or, on sait que les scientifiques eux-mêmes, en l'occurrence les médecins, ne sont pas toujours d'accord entre eux et que, heureusement, la science comme beaucoup d'autres domaines culturels est et restera  un lieu de débat, non de vérités dogmatiques.
Et puis, il y a la vitesse avec laquelle, sur un claquement de doigts des gouvernants, nos pays ont abandonné les plus grandes libertés : liberté de rassemblement, liberté de culte, liberté de se toucher (plus de poignées de mains, du jour au lendemain….), liberté de se déplacer, de voyager, etc. Du jours au lendemain : fini! C'était sans doute, et cela reste  encore pour une part, nécessaire, et je conviens que l'on a probablement évité ainsi des contaminations dont le nombre eût été ingérable. Mais mesure-t-on le prix de tout cela, non seulement en termes économiques, mais en termes de droits fondamentaux normalement garantis par les démocraties? Des pouvoirs spéciaux ont été pris partout en Europe, ce qui a permis de ne pas demander l'avis du peuple sur des sujets aussi graves… Très vite donc, si l'on restait - ce n'est pas le cas chez nous - sans contrôle à propos de ces directives, on glisserait de la démocratie à la dictature. Par parenthèse, cela signifie aussi que, même en démocratie, ce n'est pas la majorité qui décide de tout, mais quelquefois, des "vérités" s'imposent - comme la réalité sanitaire - indépendamment des électeurs. La question est dès lors : quelles sont ces "vérités", peut-on en dresser une liste, si oui, qui le fait, pourquoi, etc...
Fragilité, donc, de nos santés, de nos systèmes politiques. Nécessité d'une vigilance accrue et que peut-être le confinement et sa sortie nous auront apprise… Espérons-le, tandis que nous supplions, en cette neuvaine préparatoire à la Pentecôte, l'Esprit Saint, l'Esprit de Dieu, "Esprit de sagesse et d'intelligence", de venir remplir nos cœurs.

dimanche 17 mai 2020

Choisir un bon avocat...

Ce n'est pas que Dieu nous mette en procès, comme notre penchant spontané à la culpabilité personnelle pourrait nous le faire penser, non. C'est, comme dit l'évangile de Jean, "le monde" - avec, dans ce texte un espèce d'hostilité anti-chrétienne, dans cet évangile - qui jusqu'à la fin des temps mettra le Christ et ses fidèles en procès. C'est-à-dire, aujourd'hui… nous. Les chrétiens ne doivent pas s'étonner d'être régulièrement tournés en dérision, méprisés, voire même, comme en certains pays, persécutés. Ils gênent, parce qu'ils dénoncent par leur vie, plus que par leur "doctrine", les habitudes matérialistes ou consuméristes de leurs contemporains : vivre seulement pour manger, boire, avoir du plaisir, jouir, pour la promotion du "moi d'abord", dans l'insouciance spirituelle du bien d'autrui,  dans ce que le philosophe Pascal, encore lui, appelait "le divertissement".
Il faut un avocat, un bon avocat. Jésus le promet, "le Défenseur", dit-il, "l'Esprit de vérité" qui assistera au long des siècles, comme un Conseil commis d'office, ses disciples devant le tribunal permanent du monde. C'est l'Esprit Saint que nous nous préparons déjà à recevoir, encore et encore, lors des célébrations de Pentecôte, qui affermira la foi, rendra libre, généreux et singulièrement humble dans sa foi. C'est lui qui, pour répondre à l'injonction de l'apôtre Pierre entendue aujourd'hui dans la deuxième lecture, donnera aux chrétiens de "rendre raison de leur foi", mais "avec grand respect".
Esprit d'écoute, donc, aussi, et de tolérance.
Qu'il vienne!

dimanche 10 mai 2020

L'insolence de Thomas

La pandémie qui nous accable a remis devant nos yeux une question que notre culture s'efforce d'occulter par tous les moyens : la mort. Car la mort n'est pas seulement une réalité qui affecte toute vie terrestre, elle est aussi une question et même, oserait-on dire, la question. Pourquoi des êtres comme nous, qui nous pressentons uniques dans toute l'histoire de notre espèce, doivent-ils un jour disparaître? Certes, on répondra par la nécessité biologique : si les individus ne mouraient pas, c'est la survie de l'espèce elle-même qui serait menacée (par exemple : où mettrait-on tant de monde?) Pourtant, cette explication ne suffit pas non seulement à calmer notre angoisse face à cette nécessité, mais à résoudre l'énigme que constitue la mort. Tout est-il fini avec la vie terrestre? Peut-être, mais alors… quelle inégalité de traitement entre les personnes qui auront vécu longtemps, dans l'aisance et la culture, le confort matériel et intellectuel, les joies familiales et amicales, et d'autres, leurs contemporains, qui, à peine nés, n'ont connu que la misère matérielle et sociale avant de mourir précocement? Cette injustice crie vengeance et nous fait espérer un monde plus égalitaire, à bâtir dès l'ici-bas bien entendu, mais aussi à entrevoir dans… l'au-delà de l'ici-bas. Le mot est lâché : l'espérance d'un au-delà est une espérance raisonnable chez l'être humain, elle lui donne de hâter dès maintenant, par ses engagements sociaux, la justice qu'il souhaite éternelle.
"Pour aller où je vais, vous savez le chemin…" vient de dire Jésus aux siens en prenant congé d'eux, assuré de sa mort prochaine. Et c'est Thomas, encore lui, notre jumeau, Thomas le douteur, qui, non sans une certaine insolence sympathique, rétorque à Jésus par l'objection du non-savoir lorsqu'on se demande si l'on va "quelque part" après la mort : "Nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin?" Oui, comme toujours, Thomas formule admirablement notre question.
Et Jésus répond, non par une démonstration philosophique, mais par une affirmation sur son identité véritable : "Je suis le chemin, la vérité et la vie. Qui veut aller au Père doit passer par moi." Non seulement il va quelque part, mais ce "quelque part" est le Père, la Source de toute vie. Et sa vie terrestre, à lui, nous y conduit : elle est un chemin, elle fait la vérité de l'être humain, elle lui donne d'aller non seulement vers la mort, mais vers la Vie.
Insolent Thomas! Merci pour la question qui suscita pareille réponse...

samedi 2 mai 2020

Le "Bon Pasteur"

Au quatrième Dimanche de Pâques, on lit des versets de l'Evangile de Jean dans lesquels Jésus se présente comme "le bon pasteur, le vrai berger", celui qui n'est pas un mercenaire, mais qui donne sa vie pour ses brebis, qui les rassemble, qui connait chacune par son nom, etc. Ce n'est pas une image d'Epinal - c'est une image biblique et nombreux sont les textes du Premier Testament où Dieu se présente, là aussi, comme le berger fidèle - songeons par exemple au psaume 22, régulièrement chanté lors des funérailles : "Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien, sur de verts pâturages il me fait reposer, il me mène près des eaux tranquilles et me fait revivre. Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal : ton bâton me guide et me rassure…"
Beaucoup de choses sont dites, à propos de Dieu et du Christ, à travers cette représentation : d'abord, la prévenance de Dieu pour son peuple en général et pour chaque "brebis" en particulier - il connaît, répétons-le avec Jésus, chacune par son nom. Pour le Christ, l'humanité n'est pas une masse indistincte, mais une communauté où chacune, chacun a une valeur particulière et personnelle. Que quelqu'un vienne à manquer - et tous ressentent cette perte comme une amputation. Semblablement, au chapitre quinze de l'Evangile de Luc, Jésus se présente-t-il comme le vrai berger capable de délaisser tout le troupeau pour se mettre en quête de la brebis égarée,  jusqu'à ce qu'il la retrouve. Oui, d'abord, on lit dans ces textes l'incroyable prévenance de Dieu, que nous oublions souvent - nous ne pensons à lui que pour l'accuser de nos maux, alors qu'il n'y est évidemment pour rien  et  lorsqu'il s'en mêle, c'est pour nous en tirer, pour nous les faire traverser, comme un pasteur.
Car il nous conduit, ce Dieu d'amour, et le Christ nous conduit vers le Père, source de tout bien. Nous allons quelque part. Notre vie marquée par la finitude et la mort - les circonstances présentes nous le rappellent - n'est pas vouée au néant mais va vers la Vie. Et le Christ pasteur nous conduit vers la Vie.
Il le peut car il a pris condition humaine, ce Dieu incarné en Jésus : il connaît de l'intérieur nos perplexités, nous doutes, nos peurs, et nos angoisses. Il les partage pour toujours mais nous les fait traverser : "Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien…" Lui qui se tient en avant du troupeau se tient aussi au milieu de lui, il en porte l'odeur bien humaine. Et quelquefois, il est derrière, pour pousser dans la bonne direction.
Ce dimanche est aussi celui des "vocations", et on songe en particulier à la vocation de prêtre dans l'Eglise, de pasteur ordonné. Tout ce que Jésus dit de lui-même comme Pasteur, le prêtre, qui est un baptisé comme les autres, est chargé par son ordination de le "représenter" au sens fort, sacramentel du mot, au milieu du Peuple tout entier. Au milieu toujours, quelquefois devant pour tirer, quelquefois derrière pour pousser…
Ne nous perdons pas en considérations institutionnelles en pensant aux prêtres, en priant pour eux et pour ceux qui devraient le devenir  (je veux dire, ces questions sans cesse reprises jusqu'à la stérilité : faut-il ordonner prêtres des hommes mariés, des femmes, etc., questions sans doute intéressantes mais marginales). Songeons seulement qu'une Eglise sans prêtres oublierait la prévenance du don de Dieu, l'antécédence de son amour sur le don que l'être humain peut faire de lui-même aux autres, et que dès lors elle ne serait plus l'Eglise, mais quelque chose comme une ASBL philanthropique. Prions pour qu'il y ait des prêtres, et qu'ils soient - nombreux ou non - de vrais bergers, de bons pasteurs - ils le seront s'ils unissent leur vie à la vie du seul Pasteur.