jeudi 11 février 2021

GUERIS DE NOS LEPRES

 La lèpre est toujours et partout une maladie effrayante. Elle est le prototype, à toutes les époques, de ce mal infestant qui exclut sa victime, qui en fait un paria. Et c'est pourquoi le "baiser au lépreux", ce geste qui a donné le titre de l'un des meilleurs romans de Mauriac, est un geste transgressif : toujours, il signale la volonté chrétienne de relever, de réintégrer, de rendre dignité à qui est exclu - ainsi, par exemple, François d'Assise, le Poverello, en fit-il le signe décisif de sa conversion.

Ce geste s'autorise du miracle rapporté dans la page évangélique de ce dimanche, et qui reproduit la finale du premier chapitre de l'évangile de Marc. La mission de Jésus, déjà décrite dans les versets précédents, est ici comme résumée. Il est le Messie qui, de la part de Dieu, vient purifier de leurs lèpres et réintégrer les exclus dans la société religieuse, les remettre dans l'Alliance, et déjà les ressusciter socialement.

Jésus, nous dit-on, est "pris de pitié" lorsqu'il entend la supplique du lépreux ("Si tu le veux, tu peux me purifier", Mc 1, 40) - une autre leçon, plus vraisemblable, note qu'il est "irrité". Peut-être irrité devant la demande de cet homme, mais plus vraisemblablement face à une société prétendument religieuse et qui exclut ceux qu'elle considère comme des impurs, parce que leur peau est marquée par des plaies que l'on sait contagieuses. Avouons que nous n'avons pas beaucoup changé : la façon dont, récemment, chez nous, on a pu stigmatiser les malades du Sida ou, dans l'actuelle pandémie, isoler plus qu'elles ne le sont déjà les personnes âgées, oui, tout cela ne plaide guère en notre faveur. Notre société reste une machine à exclure, avec la bonne conscience qu'ainsi elle protège.

Jésus plaide pour une autre voie, celle du salut - salus, en latin, qui signifie "la bonne santé"... Comme il le dit au lépreux, il veut que nous soyons purifiés. Et nous le sommes à son contact (il a "étendu la main, et l'a touché" geste, on l'a dit, éminemment transgressif...) Oh, nous ne sommes pas tous atteints de cette maladie cutanée, heureusement, mais nous sommes tous lépreux dans nos coeurs, portant toujours en nous ces blessures profondément enracinées, et qui suintent doucement en surface, contaminant nos proches, nos voisinages, et nous rendant incapables d'aimer. De cela, de nos plaies enfouies, Jésus veut nous guérir, nous relever, nous ressusciter en nous touchant à l'intime de nous-mêmes.

Etrange est la consigne de ne rien dire à personne, mais d'aller seulement se montrer au prêtre qui peut authentifier la guérison et réintroduire le malade dans le Peuple. Etrange et pourtant constante dans l'évangile de Marc, cette volonté de "secret messianique", comme l'appellent certains exégètes, un secret qui ne sera levé que lors du procès de Jésus devant le Sanhédrin, quand il sera face à ses juges, nu et dépouillé de tout - alors seulement, on pourra dire qu'il est le Messie et on portera vraiment témoignage de son salut. L'enthousiasme du lépreux guéri, bien compréhensible, est un signe qui doit lui-même encore être purifié : la puissance du Sauveur ne se verra pleinement que dans le mystère de la Passion, car, comme l'avait prédit Isaïe en entrevoyant le Serviteur souffrant, "c'est par ses blessures que nous sommes guéris."

1 commentaire:

  1. Appréciant fort vos homélies de naguère à Enghien et le hasard du surf électronique nous ayant conduit à votre blog nous avons parcouru vos derniers posts et constatons avec plaisir que vos nouvelles fonctions et la pandémie vous ont laissé pareil à vous même. Vos réflexions d'il y a quelques semaines sur "le droit à la messe" nous ont parues tout à fait pertinentes. Merci par ailleurs de façon plus générale pour le partage périodique de vos conseils avisés de lecture de textes évangéliques. "Doe zo voort" comme l'on dit chez nous à Herne. Mireille et Georges.

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