mardi 31 décembre 2024

"Le Verbe s'est fait chair..." Bonne année!

 L'Evangile du dernier jour de l'année civile est celui du Prologue de l'Evangile de Jean, ce texte magnifique, sans doute tardif (fin Ier siècle ou même début IIème siècle), une méditation théologique sur ce qu'est le christianisme. Ce qu'est le christianisme... que n'a-t-on dit, glosé, médit et souvent de façon intellectuellement peu honnête, à ce sujet! "Une reprise de mythes anciens, une secte juive, une pure et simple invention, un  culte à mystères de plus, un délire, etc., etc..."

On rechigne à y voir la grandeur de l'amour, de l'agapè, ce don sans retour qui est fait à l'humanité par un Dieu qui se donne à connaître comme pur Don. Saint François d'Assise l'avait déjà déploré en son temps, qui se lamentait en disant : L'Amore non è amato! "L'Amour n'est pas aimé!"

Le Prologue de Jean nous remet devant les yeux la grandeur de ce Don : le Verbe, Parole puissante par qui tout existe, est devenu enfant, in-fans, celui qui n'a pas la parole, qui ne parle pas encore ou qui est prié de se taire. Ce faisant il a réinvesti la "chair" humaine en lui offrant une seconde naissance, une naissance en Dieu, et ceux qui accueillent cela en effet "ne sont pas nés de la chair et du sang, mais nés de Dieu!"  Celui qui accueille ce Don, il trouve en Dieu sa naissance, et cela change son existence entière, lui donnant sens, dans la double acception de "direction" et de "signification".

Nous voilà loin de considérations morales, sociologiques, psychologiques ou autres. Le christianisme n'est pas une morale, il est un salut, un exaucement du grand désir humain ("L'homme passe infiniment l'homme", dit une Pensée de Pascal) et aussi son exhaussement. En cela, il offre à tout être humain une liberté incroyable, la plus grande liberté possible, la liberté spirituelle.

Je crois toujours davantage, avec l'âge, qu'il n'y pas de plus grand bonheur que celui-là. On peut être privé de beaucoup de choses (santé, argent, relations humaines, paix intérieure et extérieure, tout ce qu'on veut), la petite musique chrétienne, même en sourdine, résonne toujours.

Je crois qu'en elle, en cette musique, est la source de l'Espérance dont le pape François a fait le thème de cette année jubilaire qui s'ouvre, 2025. Il y a toujours une Espérance, même quand humainement il n'y a plus d'espoir. Il y a toujours une Espérance, parce que la source de l'agapè, la source du Don coule toujours en nous depuis le baptême. Et que c'est la source du bonheur.

Belle et sainte année à chacune et chacun de vous!

dimanche 22 décembre 2024

"Quand nous visite l'astre d'en-haut..."

 La Visitation dont la lecture évangélique de ce jour nous rapporte le récit en saint Luc, ce n'est pas seulement une visite - celle de la jeune Marie à sa vieille cousine Elisabeth, toutes deux étant enceintes. La Visitation, c'est une visite d'une autre ampleur - d'où l'ampleur aussi du terme. C'est, à travers Marie enceinte, Dieu lui-même qui rend visite à l'humanité et s'inquiète de savoir... comment ça va, du côté des humains.

Eh bien, mettons que ça ne va pas fort.

Les humains ne semblent guère heureux, ni dans les pays riches, ni dans les pays pauvres. Dans les premiers, ils sont inquiets et, dans les seconds, maltraités. Leurs responsables ne semblent guère futés, incapables de leurs procurer le bonheur autrement que par des gadgets chez les premiers, ou par des promesses chez les seconds. Alors, en lieu et place du bonheur, on leur offre des guerres, des guerres, des guerres, pour des bouts de territoire, pour des histoires compliquées de droits non respectés, pour des menaces prétendument religieuses ou culturelles - on serait dans des cours de récréation, bon, les maîtres siffleraient la fin de ces conflits imbéciles, mais on joue dans la cour des grands, n'est-ce pas, alors, on tue, on massacre, on assassine, on fabrique des armes, encore des armes, toujours des armes - une bénédiction pour les usines et les marchands, et même, au passage, pour les trafiquants. 

Non, vraiment, chez les humains, ça ne va pas fort ces temps-ci.

Mais Dieu vient visiter son peuple. Pas pour le punir, non, il a renoncé depuis longtemps à cette pédagogie de la punition. Pas non plus pour approuver ses délires, non : il y a tout de même du reproche dans sa visite.

Alors, pourquoi vient-il? Reprenons la formule habituelle : "pour sauver". Son salut à l'humanité n'est pas seulement une salutation, mais une salvation. Il vient sauver l'humanité d'elle-même car, laissée à ses propres décisions, elle ne s'en sortira pas. Et ce salut, il le veut radical - allant jusqu'à la racine du mal, du mystère du mal qu'il veut éradiquer. Non pas d'un coup de baguette magique, non, ce n'est pas son style. Mais en s'y livrant lui-même, en se faisant le tout-petit de la crèche, le rejeté de l'auberge, l'incompris de la prédication, le condamné de la croix, l'abandonné même de Dieu, lui qui est Dieu, le premier des athées dans son cri "Pourquoi?" Il n'esquive rien dans cette geste de salut. Il embrasse entièrement l'humanité, son extériorité et son intériorité, pour lui rendre la capacité d'aimer plutôt que de haïr.

Cela commence par les entrailles : c'est dans le sein de sa vieille mère que le dernier des prophètes tressaille en reconnaissant dans l'autre petit celui qui vient pour tout restaurer dans l'amour : "Lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation, dit Elisabeth, l'enfant a tressailli d'allégresse au-dedans de moi!" 

Et elle ajoute : "Bienheureuse celle qui a cru!"

Bienheureux aujourd'hui encore ceux qui croient : l'astre d'en-haut vient nous visiter!

Heureux Noël...

dimanche 15 décembre 2024

Dieu, l'Energie

 Méditation ce dimanche sur l'énergie divine. Partons d'un constat : le Dieu qui crée toutes choses, "l'Univers visible et invisible" comme nous le proclamons dans notre Symbole de foi en oubliant souvent que l'Univers invisible est infiniment plus étendu que le visible, que, petite poussière que nous sommes sur la petite poussière un peu plus grande qu'est la terre, nous ne sommes qu'infimes dans cet Univers, bref, ce Dieu qui crée tout est aussi Celui qui seul me connaît au plus intime. Car pour lui, me créer, c'est me connaître ('yada, dit l'hébreu, qui désigne une connaissance de l'intimité : "Adam connut Eve, et Eve conçut", nous ne sommes pas dans une science livresque...) Et cette intimité est une forme d'amour absolu, car Celui qui me connaît ainsi est Celui qui m'aime - pour lui, connaître, c'est aimer. Moi-même, je me connais très mal et très peu; moi-même, je m'aime très mal et très peu. Dieu seul sait aimer comme il faut...

La même énergie se déploie dans l'acte créateur de l'Univers et dans l'acte créateur de chaque être humain, et c'est une énergie d'amour. S'il m'arrive, dans la prière, de me percevoir au moins un peu connu par Dieu, c'est que le même amour est à l'origine de toute chose. L'origine du monde, ce n'est pas le sexe féminin, n'en déplaise à Courbet, l'origine du monde, c'est l'amour de Dieu.

C'est une énergie formidable, qui produit le "big bang" et aussi la prière dans l'intimité du coeur humain. C'est une dépossession complète de soi qui veut devant soi l'autre. C'est une "kénose" perpétuelle, un vide de soi, un abaissement, un agenouillement du Créateur devant sa créature. C'est un amour de salut et de résurrection. C'est la Vie en sa puissance, en son surgissement. C'est l'amour porté par le Fils incarné, lui le Verbe devenu muet dans la crèche de Noël - une crèche dont l'ombre, déjà, dessine une Croix.

Tout cela me trottait en tête, hier, quand dans l'église Sainte-Catherine j'accompagnais par la prière la foule innombrable des adorateurs nocturnes du Saint-Sacrement qui se pressait là, attirée par le Mystère exposé. Car l'amour, toujours, attire. Dans cette hostie vénérée, oui, il y a avait - il y a - toute l'énergie créatrice par laquelle nous sommes des vivants. Et toute l'énergie recréatrice, salvatrice, par laquelle nous devenons de vrais Vivants.

dimanche 8 décembre 2024

Ah! Notre Dame!

 Comme beaucoup j'ai regardé les célébrations de ré-ouverture de la Cathédrale Notre-Dame de Paris, ce week-end. Et comme beaucoup, sans doute, je suis rempli d'enthousiasme - même si les chapes de Castelbajac offrent une esthétique, mettons, discutable!

Ah! Notre-Dame! Quelle histoire! Un concentré des rapports difficiles, quelquefois séducteurs, entre le Trône et l'Autel...

Ainsi : 

- lorsque son édification est décidée par l'évêque Maurice de Sully, au XIIème siècle, c'est pour opposer son prestige au pouvoir royal

- lorsque Louis IX lui offre la précieuse relique de la Sainte Couronne d'Epines... c'est pour placer cette relique dans la Sainte Chapelle, non loin  de là, histoire de ne pas donner trop de prestige à la Cathédrale

- lorsqu'au XVIe siècle le futur Henri IV y fait célébrer son (éphémère) mariage avec Marguerite de Valois (la "Reine Margot"), c'est dans l'espoir, réintégrant ainsi l'Eglise Catholique, de donner une fin honorable aux Guerres de Religion

- lorsque le petit-fils d'Henri IV, Louis XIV, y fait chanter des Te Deum pour célébrer ses victoires militaires, c'est pour faire valoir son gallicanisme et sa prétention de détenir un pouvoir plus grand que celui du pape

- lorsque Napoléon en 1804 s'y fait sacrer Empereur des Français, préférant ce lieu à la Cathédrale de Reims pour des motifs évidents (ne pas trop ostensiblement renouer avec la monarchie et ses rois qui se faisaient sacrer à Reims), c'est pour affirmer sa primauté sur une religion catholique qu'il utilise mais ridiculise - il a fait venir pour ce sacre le pauvre pape Pie VII et lui arrache la couronne des mains, la plaçant lui-même sur sa tête

- lorsque Victor Hugo publie son Roman "Notre-Dame de Paris", au XIXème siècle, c'est pour exalter le petit peuple de Paris, exploité à l'ombre de cette église par un clergé tout puissant et sans scrupule

- lorsque Clémenceau, en 1918, refuse de participer à un Te Deum célébrant à Notre-Dame la victoire des Alliés lors de la Première Guerre mondiale, c'est pour affirmer son anticléricalisme revendiqué et le souci de respecter la stricte séparation de l'Etat et de l'Eglise

- lorsqu'en revanche le Général De Gaulle en 1944 fait entonner un Magnificat à Notre-Dame pour célébrer la proche victoire, c'est en écartant de cette célébration le Cardinal Emmanuel (tiens, un prénom...) Suhard, alors archevêque mais jugé trop pétainiste

- lorsque les Présidents De Gaulle, Pompidou et Mitterrand décèdent, une messe est célébrée selon leur volonté à Notre-Dame en présence de chefs d'Etat étrangers, mais leurs obsèques sont privément célébrées ailleurs

- lorsque la Cathédrale est la proie des flammes, c'est le Président de la République qui s'engage à sa reconstruction endéans les cinq années - pari réussi

- lorsqu'hier et aujourd'hui la ré-ouverture de cette église est célébrée, c'est en présence de nombreux (et importants) chefs d'Etat étrangers, mais sous la présidence de l'archevêque et en l'absence du pape, qui a décliné l'invitation.


Ah! Notre-Dame, lieu symbolique de tant et tant de choses, mais aussi des rapports si délicats, si nécessaires aussi sans aucun doute, et des alliances tellement compliquées entre le Trône et l'Autel!

vendredi 6 décembre 2024

Vive Saint Nicolas!

 L'église Saint-Nicolas, dite parfois Saint-Nicolas-Bourse,  est voisine, précisément, de la Bourse de Bruxelles et de sa magnifique Grand Place. Elle est l'une des plus anciennes églises de la ville, merveilleusement conservée et enrichie au cours des siècles et depuis peu gardée par un nouvel Etablissement du Culte ("Fabrique d'église") dynamique et proactif - remarquable! Ce soir, pour fêter dignement son saint titulaire, la paroisse Saint-Nicolas avait fait église comble, avec des enfants de la catéchèse et leurs parents, beaucoup de fidèles, quatre prêtres, d'excellentes musiciennes et chanteuses et un buffet organisé ensuite par cette Fabrique d'église et pas mal de bénévoles,  autour d'une messe festive.

Ah, j'oubliais : bien sûr, le grand saint était là, dès la fin de la célébration, pour accueillir et récompenser les enfants (sages...)

Magnifique moment de vie, de chaleur, de repos dans la ville stressante, de juste considération pour les enfants, de prière pour ceux qui sont délaissés, ignorés ou maltraités.

Veilleurs dans la ville, voilà notre vocation!

mercredi 4 décembre 2024

La fin du monde

 Le temps liturgique de l'Avent (c'est-à-dire de l' "avènement") du Seigneur, qui prépare les fidèles chrétiens aux célébrations de la Nativité, est aussi et peut-être surtout un temps qui pointe leur attention sur la fin des temps, ou pour être plus précis, la fin du temps et de l'espace, la fin du monde, la fin de toute chose, la fin des "univers visibles et invisibles" (ces derniers étant sans aucun doute les plus nombreux). Oui, cela fait partie de la foi chrétienne, même si c'est un élément très souvent oublié de la catéchèse et de la prédication : un jour, tout finira. Un jour, il n'y aura plus rien non seulement de ce que nous connaissons (une infime partie, donc), mais même de tout ce que nous ne connaissons pas.

Faut-il en être triste? Oh non! Qu' "elle passe, la figure de ce monde!", cela n'est pas pour les chrétiens source d'angoisse. Pour eux, en effet - et voilà ce qui est célébré en Avent - cette fin  correspond au retour glorieux du Christ  et à l'établissement définitif du Royaume qu'il a inauguré lors de son éphémère vie terrestre. Il a annoncé par sa parole et par ses actes un Royaume de paix, de justice, d'amour - c'est le rêve de Dieu, son Dieu et notre Dieu, sur le monde tout entier et l'humanité en particulier. Lorsque les temps seront achevés (et nul ne sait quand, dit Jésus lui-même, interrogé là-dessus par les siens d'après les Evangiles, nul ne sait quand sauf le Père) alors ce Règne sera accompli. Quand il n'y aura plus rien, il n'y aura plus que l'amour.

Il convient donc de hâter cette fin plutôt que de la redouter : en activant ici et maintenant nos engagements de toutes sortes en faveur de la paix, de la justice et de l'amour, nous accroissons en quelque sorte la vitesse de l'accomplissement! Temps de contemplation de la fin, l'Avent est aussi un temps où l'on se  retrousse les manches. Il faut hâter l'au-delà par notre implication dans l'ici-bas!

Le Symbole de Nicée et Constantinople, ce grand Credo du IVème siècle que nous récitons ou chantons dans nos liturgies dominicales, nous fait changer de verbe lorsqu'il aborde ces réalités de l'Avent. Nous ne disons plus Credo ("Je crois"), mais Exspecto ("J'attends")... Redoutable changement  : notre manière de croire à "la résurrection des morts et à la vie du monde à venir", c'est de l'attendre, c'est-à-dire de l'espérer. 

Tout un programme, cette espérance qui est aussi au coeur de l'année jubilaire ouverte en 2025!