jeudi 17 décembre 2020

Réhabiliter l'interdit

 La crise sanitaire présente me semble comporter un problème de fond, que l'éthique précisément dite "fondamentale" a pour mission d'appréhender : la question de l'interdit. Ce qui agace un certain nombre de nos contemporains, c'est que l'Etat multiplie les interdits : de garder ouverts cafés et restaurants, de se promener après le couvre-feu, de multiplier les rencontres, etc... Nous sommes à peu près tous, en effet, des enfants de mai '68 et de slogans alors brandis comme autant de devises : "Il est interdit d'interdire..."

Or, l'interdit est nécessaire pour toute vie sociale. Songeons aux nobles et antiques interdits sans lesquels nous ne saurions vivre, et que Freud a intégrés dans l'apprentissage indispensable du "surmoi" : interdit du meurtre, interdit de l'inceste. Que se passerait-il, par exemple, si le meurtre n'était pas interdit? Nous serions immédiatement plongés dans une société violente en laquelle, la vengeance entraînant la vengeance, la vie ne serait tout simplement plus possible. 

Et voilà exposé le coeur du problème : la fonction de l'interdit, de l'inter-dictum, de cette parole dite entre les humains, c'est d'empêcher, certes, un comportement, mais de permettre quelque chose de plus grand. Ainsi le meurtre est-il empêché pour que la vie du plus grand nombre reste possible. Et ce qui est permis par l'interdit, en éthique fondamentale, porte un nom - c'est une "valeur", ce qui "vaut mieux". Convenons, en l'espèce, que la vie "vaut mieux" que la mort...

Rappelle-t-on assez ces éléments très simples d'une morale commune? Si nos gouvernants interdisent des comportements, c'est pour dire que la santé "vaut mieux" que la maladie, qu'elle est une valeur à préserver dans l'escarcelle du bien commun, et que cela "vaut bien", donc, de sacrifier quelques libertés de façon temporaire. Même s'il en coûte, des points de vue sociologique, économique, psychologique.

Souvenons-nous du précepte chinois (on m'a toujours dit qu'il était chinois, je n'ai jamais vérifié.) : "Si, de ton doigt, tu montres la lune à un imbécile, l'imbécile regardera ton doigt!" La lune, c'est la valeur morale. Le doigt, c'est l'interdit. 

C'est pourtant simple, non?

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