jeudi 19 juin 2025

Le scandale social de Bruxelles

 La "Libre" le révélait ce matin : la précarité augmente dans le Centre-Ville de Bruxelles, où l'on compte près de 10.000 sans "chez soi" et, parmi eux, environ 2.000 personnes qui vivent et dorment dans la rue, parmi lesquelles environ 20% d'enfants et de jeunes (jusqu'à 18 ans). 

C'est une honte, un scandale devant nos yeux : la Capitale de l'Europe, la Ville des Institutions Européennes et du confortable Royaume de Belgique, la Capitale de la Flandre richissime, bref, Bruxelles n'est pas capable d'offrir un minimum d'accueil à des milliers de personnes fragiles. La Région, depuis plus d'un an, peine à former un Gouvernement, enferrée dans des querelles d'ego et d'idéologie et ayant renoncé semble-t-il au moindre souci du Bien Commun. 

Partout, de petites structures essaient de faire ce qu'elles  peuvent. J'ai déjeuné ce midi avec les forces vives de BAPO ("Bruxelles-Accueil-Portes-Ouvertes"), qui près de la Grand Place accueille de plus en plus de personnes en recherche de logement, de papiers, de reconnaissance et d'écoute, et qu'on aide à se frayer une route à travers le dédale administratif des Institutions responsables de leur accompagnement. Je bénis les bénévoles du "Point 32" qui, dans les locaux de l'église du Finistère, distribuent chaque jour de la semaine plus de 120 repas. Je suis sensible aux actions de prise de conscience  que nos amis de "House of Compassion" promeuvent dans l'église du Béguinage. Nous pouvons dire je crois, sans rougir, que l'Eglise fait ce qu'elle peut.

Mais comme j'ai honte... , honte pour mon pays et pour ma Ville! J'attends avec impatience de lire la première Encyclique du nouveau Pape Léon - par son  nom pontifical, il a voulu placer son action sous le signe d'un sursaut de la justice sociale. Il est en effet grand temps... 

dimanche 8 juin 2025

Tendre à la Vie, tendre à la paix

 Le monde ne va pas bien. Certains de ses grands dirigeants semblent avoir perdu l'esprit ou la raison, semblent ne rêver que guerres et destructions - avec à la clé, bien sûr, une indifférence croissante pour l'avilissement de notre planète, de notre "maison commune" comme l'appelait notre bon pape François. Dans ce contexte difficile, célébration aujourd'hui de la Pentecôte, de l'effusion d'un autre Esprit, l'Esprit de Dieu, sur quiconque veut bien l'accueillir.

Et, dans les lectures de la liturgie, ces quelques versets éblouissants de la Lettre de Paul aux Romains :

"Sous l'empire de la chair, on tend à ce qui est charnel; mais sous l'empire de l'Esprit, on tend à ce qui est spirituel : la chair tend à la mort, mais l'Esprit tend à la vie et à la paix!" (Rm 8, 5-6) La chair, dans l'anthropologie de Paul, ce n'est pas le corps, c'est la tristesse ou quelque chose comme la dépression, ce qui fait désirer la mort. L'Esprit de Dieu est Vie, avec cette majuscule qui en dit la puissance et la joie. Les chrétiens ont reçu l'Esprit et voudraient vivre sous cet "empire" - combat en eux, combat autour d'eux, prétention souvent moquée par ceux qui s'en fichent et les prennent au mieux pour de doux rêveurs, au pire pour des menteurs ou des bonimenteurs.

C'est que "l'amore non è amato" comme le déplorait déjà Saint François - "L'amour n'est pas aimé!"

La Pentecôte, remède au cynisme ambiant...

mercredi 28 mai 2025

Mais où donc faut-il regarder?

 La célébration de l'Ascension a d'abord de quoi nous plonger dans la perplexité, surtout en l'année liturgique "C" (celle-ci), quand nous avons entendu proclamer à Pâques l'Evangile de la Résurrection dans la version de Luc. Aux femmes déconcertées devant le vide du tombeau, les anges n'ont-ils pas déclaré : "Pourquoi cherchez-vous le Vivant parmi les morts?"  Mais le même évangéliste Luc, auteur du Livre des Actes des Apôtres que nous lisons en cette solennité de l'Ascension, rapporte que des anges, encore, messagers des mystères divins, dirent aux apôtres qui regardaient le ciel où Jésus s'était élevé et avait disparu : "Pourquoi cette admiration en regardant le ciel?" 

D'où la perplexité dont je fais état : mais où faut-il donc regarder pour retrouver Jésus Ressuscité?

Pas parmi les morts, en effet : pour les chrétiens, Jésus n'est pas un personnage exemplaire du passé dont on ferait encore mémoire avec gratitude aujourd'hui, retenant quelques préceptes bienvenus de ses enseignements au sein d'un asbl appelée "Eglise" et qui perpétuerait son souvenir. Non. Il est le Vivant de Pâques, et ce n'est pas parmi les morts qu'il faut désormais le ranger ou le chercher.

Mais il ne s'agit pas non plus d'échapper à la condition humaine, pour le chercher. On ne le trouvera pas dans de mystiques (ou pseudo-mystiques) élévations, dans des désincarnations, dans des nirvanas éthérés, bref, dans toutes sortes de "ciels" ou de "cieux" évanescents où il n'est pas non plus!

Alors, où?

Dans l'ici-bas, avant de le rejoindre dans l'au-delà. Dans l'ici-bas, dans le concret, dans le quotidien, dans les relations humaines, familiales, sociales, professionnelles, culturelles, tout ce qu'on veut. Dans l'Eglise, qui est son Corps vivant et terrestre, et que les baptises constituent malgré leur faiblesse, dans l'Eglise qui est le Sacrement du Ressuscité, le signe tangible, visible et actuel de sa présence. Dans les sacrements de l'Eglise, qui nous unissent à ce Corps - ceux de l'initiation, d'abord, puis les autres qui en sont comme des rappels nécessaires.

Oui, dans l'ici-bas. Ni dans la tombe où il n'est plus. Ni dans l'imaginaire où il n'est pas. Dans le réel.

samedi 10 mai 2025

Léon XIV

 Dans l'élection d'un pape, tout est signifiant :  ce qu'il revêt comme vêtements liturgiques pour sa première présentation au Peuple, les premiers mots qu'il adresse à cette occasion et, avant cela, bien entendu, le nom qu'il s'est choisi pour exercer son pontificat.

Robert s'appellera donc Léon, quatorzième du nom.

On n'a pas fini de se demander pourquoi, mais on devine déjà quelques raisons quand on fait la liste de ses prédécesseurs. Ainsi :

Léon Ier, dit Le Grand, qui fut pape au milieu du Vème siècle, exerça une activité pacificatrice dans l'Eglise (notamment dans l'affirmation des deux natures du Christ, qui fut avalisée par le Concile de Chalcédoine en 451), mais aussi dans le "monde" d'alors - il négocia avec les Barbares l'indépendance de Rome. Un pape pour pacifier l'Eglise, pour pacifier le monde : une esquisse de programme?

Léon XIII, au carrefour des XIXème et XXème siècles, est surtout connu pour son Encyclique "Rerum Novarum", la première grande Encyclique sociale de l'ère contemporaine, dans laquelle il appelait le patronat au respect du monde ouvrier et déclarait légitimes les syndicats. Un pape pour rappeler que la justice sociale est toujours un combat : autre priorité du pontificat?


On verra. En attendant, nous rendons grâce pour Léon XIV et prions pour lui!

mercredi 7 mai 2025

Angelo Rinaldi est mort

 J'ai appris cet après-midi le décès de mon ami Angelo Rinaldi. Corse d'origine, écrivain de talent et critique littéraire redouté, membre de l'Académie Française depuis 2001, Angelo m'honorait de sa fidèle amitié, depuis plus de trente ans. Chaque fois que je me rendais à Paris, et encore récemment, nous nous arrangions pour dîner chez Lipp (dont il avait fait sa cantine) et pour commenter la vie littéraire parisienne, dont il restait un observateur attentif - quelquefois féroce. 

Excellent critique, donc, craint pour ses assassinats littéraires (Simenon, Duras, entre autres gloires,  en firent les frais), il était sans concession. Il  prétendait vouloir faire non pas une carrière (auquel cas il eût léché les bottes des écrivains et éditeurs qui lui envoyaient leurs livres) mais un métier, et cela le plus honnêtement possible, en disant ce qu'il pensait. C'était courageux et cela ne lui valut pas que des amis!

Romancier, aussi, auteur d'ouvrages dans lesquels le style comptait plus que l'intrigue - ce qu'on lui a beaucoup reproché, mais qui pour moi le plaçait dans une lignée prestigieuse, Saint-Simon, Balzac ou Proust, dont il savait par coeur les morceaux de bravoure.

Je l'ai encore appelé la semaine dernière - il était hospitalisé, très essoufflé, et m'a seulement demandé de prier pour lui, ce que je fis et continuerai à faire. Il entretenait avec la foi catholique un rapport mystérieux, fait d'esthétique et d'espérance, mais un rapport que je crois absolument authentique.

Il est donc mort le jour où les Cardinaux entraient en Conclave - cela l'aurait amusé, et surtout, il eût été fier de voir entrer dans la Chapelle Sixtine le Cardinal Bustillo, élégant évêque corse, dont la récente élévation au Cardinalat l'avait enchanté - enfin, l'Eglise avait de la considération pour son île!

Je ne sais pas s'il y a un lien entre ces deux événements - Dieu sait. Mais, pour les deux, en effet, je prie!

lundi 28 avril 2025

Mort de François : les mots touchants d'Edith Bruck

 Edith Bruck, née en 1931, est une écrivaine, actrice et scénariste juive d'origine hongroise, rescapée des camps nazis, et qui depuis longtemps vit à Rome. Le pape François connaissait son oeuvre et avait tenu, en février 2021, à lui rendre visite dans son appartement romain. S'ensuivit une amitié - certains diront même "un peu amoureuse", il était possible qu'en tout bien tout honneur le pape ait eu un petit "boentje" pour elle, comme on dit à Bruxelles...  François lui téléphonait parfois, prenait des nouvelles de sa santé, de son oeuvre (oeuvre importante, notamment traduite en français par mon ami René de Ceccatty). Apprenant la mort du pape, Edith Bruck a voulu lui adresser cette lettre posthume, également traduite par René :

"Il nous manquera, comme le pain aux affamés, comme la paix aux êtres humains, comme la lumière dans les ténèbres. Sa voix nous manquera pour faire taire partout les armes. Ses appels téléphoniques, son doux accent argentin me manqueront. Son affection chaleureuse me manquera et ses voeux pour mes anniversaires. Je me rappellerai à jamais sa visite chez moi et à travers moi à tout le peuple juif pour les persécutions et la shoah." (Edith Bruck, 22 avril 2025)

Oui, adieu pape François. Tu manqueras à beaucoup, beaucoup de gens sur cette terre...

mardi 22 avril 2025

Adieu, François


 Ainsi donc, le pape est mort, après avoir le jour de Pâques offert "urbi et orbi" ("à la ville - de Rome, dont il est l'évêque - et au monde") sa dernière bénédiction.

Bien des commentaires sont faits, partout, sur tous les supports médiatiques, et ils sont souvent pertinents. On salue un homme qui a de façon déterminée plaidé pour la paix, pour le respect de la "maison commune", pour la dignité des personnes fragiles et pauvres comme les migrants, pour le respect de toute vie humaine - même celle qui est encore en gestation . On déplore sa frilosité pour un certain nombre de réformes dans l'Eglise (plus de place eux femmes, aux couples dits "irréguliers", etc.), on déplore aussi sa fermeté sur des questions sociétales comme l'avortement ou l'euthanasie. 

En tous les cas, il aura été un homme libre. Ses douze années de pontificat ont bousculé la vieille Eglise Catholique. Et, parmi la poignée de dirigeants du monde qui "comptent", j'aime à penser qu'il aura été le plus relevant, au milieu des Trump, Erdogan, Poutine et compagnie.

J'ai rencontré cet homme à plusieurs reprises, séduit par sa générosité, son empathie, son humour. Je ne doute pas qu'il continue à prier pour l'Eglise qu'il a servie, et... pour son successeur!

dimanche 13 avril 2025

Semaine Sainte

 En ce dimanche des Rameaux et de la Passion, nous avons lu et médité le récit de la Passion de Jésus dans la version de l'évangile de Luc. J'y note un trait : au moment de la triple trahison de Pierre, le coq chante comme Jésus l'avait prédit à l'apôtre qui, matamore, lui avait assuré qu'il le suivrait "jusqu'en prison, jusqu'à la mort." Trois fois, pris de panique sans doute, il vient de renier - c'est alors que l'évangéliste écrit : "Le Seigneur, se retournant, posa son regard sur Pierre..." Ce regard change tout : il est à la fois de vérité et de pardon.

De vérité : transpercé par lui, Pierre se voit tel qu'il est, il est placé face à la vérité de lui-même, de sa fragilité, de sa pauvreté. Il n'est pas le va-t-en-guerre, le fanfaron qu'il prétendait. 

De pardon : en même temps, ce regard de vérité le relève et déjà le ressuscite. C'est un regard de miséricorde, celui que Dieu ne cesse de porter sur nous.

Le texte continue, évoquant la réaction de l'apôtre : "Il sortit et pleura amèrement..." Bienheureux, ces pleurs, qui lavent et libèrent  de l'enfermement tant dans le mensonge que dans la culpabilité.  Bienheureuse humanité de l'être humain, ainsi restaurée sous le regard de Dieu.

Pendant la Semaine Sainte, la Grande et Sainte Semaine qui s'ouvre, si nous nous laissions regarder par ce regard, le regard de celui qui aujourd'hui encore porte sur lui, avec la Croix, le péché du monde et le transfigure en nouvelle possibilité d'aimer. J'ai beaucoup médité ces jours-ci le verset paulinien de la Deuxième Lettre aux Corinthiens : "Celui qui n'a pas connu de péché, Dieu pour nous l'a fait péché, pour que nous devenions en lui justice de Dieu." (2Co 5, 21) De plus en plus, à mesure que le temps passe et que je vieillis, à mesure que je regarde, souvent effrayé tout de même, l'état du monde, je me dis que la Passion de Jésus est ce qui fait entrer l'humanité dans la justice véritable, celle de Dieu, précisément parce qu'elle est seule capable de conjuguer en Christ vérité et miséricorde. En cette humilité - humilité de Dieu - se trouve la grandeur de l'être humain, la seule dont le monde ait besoin. 

lundi 7 avril 2025

Marie Noël, Bernanos : les deux dernières conférences du Carême 2025 à la Cathédrale de Bruxelles

 Le dimanche 23 mars, Arnaud Montoux venait à Bruxelles évoquer Marie Noël - brillant professeur à l'Institut Catholique de Paris, remarquable théologien, Arnaud est le postulateur de la cause de béatification de la poétesse d'Auxerre. Exposé chaleureux, vivant, rendant bien compte de ce qu'est la foi traversée par le doute et de la façon dont l'exercice poétique a permis à cette femme de grandir en paix dans ce tourment. 

Hier, 6 avril, c'est Mgr Patrick Chauvet qui est venu "en coup de vent" nous parler du grand Bernanos et de "l'invincible espérance" dont son oeuvre est porteuse. Là aussi, exposé brillant et chaleureux, montrant l'intransigeance bernanosienne en matière de vérité - seul socle possible de l'authentique espérance.

Les trois conférences de de Carême - Mme Thabut, le P. Montoux et Mgr Chauvet - ont ainsi montré, chacune à sa façon, l'importance de la littérature pour grandir dans la foi et pour nous préparer à accueillir le mystère de Pâques que les prochaines liturgies vont bientôt réveiller en nous!

jeudi 3 avril 2025

Rome, printemps 2025

 Je viens de rentrer de Rome, où j'ai participé le week-end dernier, dans le cadre de l'année jubilaire, à un colloque des "missionnaires de la miséricorde". 

Première impression :  la foule, compacte, immense, qui sans arrêt et chaque jour, par dizaines de milliers, franchit la distance qui sépare la Piazza Pia de la Basilique Saint-Pierre. Une foule bigarrée, enthousiaste, souvent jeune, venue de partout dans le monde célébrer l' espérance, que le pape a voulu mettre au coeur de cette année jubilaire. Il y aurait donc des gens, et nombreux, qui veulent espérer encore et encore, envers et contre tout? Oh bonheur de s'en rendre compte!

Les échanges, ensuite, théologiques et quelquefois un peu techniques (canoniques) sur ce qui est la mission que le pape confie à ses "missionnaires de la miséricorde". Une mission par lui renouvelée, et inscrite dans la durée... Echanges, oui, et aussi célébrations et concert et prière (du chapelet, dans les Jardins du Vatican, pour la santé de François).

Et puis, il y a Rome, bien sûr! "Roma Amor" comme disaient les Anciens, l'Vrbs, la Ville, la païenne et la chrétienne, la juive aussi (dîné dimanche soir dans un restaurant de l'ancien Ghetto, derrière la Synagogue, et resongé à cette adresse du saint pape Jean-Paul II au Grand Rabbin de l'époque : "Vous êtes nos frères dans la foi, nos frères aînés!")

Au bord du Tibre, tiens, à propos de la Rome païenne, j'ai lu le dernier récit romanesque de Catherine Clément, précisément intitulé Païenne (Seuil, 2025) : avec talent, elle y imagine les derniers mois de la Pythie de Delphes, en 392, lorsque l'empereur Théodose interdit les cultes païens dans l'Empire et fait fermer les vieux sanctuaires. Quel drame pour ces croyants païens ainsi dépossédés! Quel moment décisif aussi, dans l'utilisation politique du religieux, pour asseoir l'autorité d'un empereur qui veut unifier ses possessions. Se méfier, toujours, de cette intolérance...

Revenu, donc, avec au coeur la volonté d'être toujours davantage témoin de la miséricorde surabondante du Père. Assuré de voir là une réponse, et peut-être la réponse, au chaos qui gronde aujourd'hui autour de nous.

lundi 17 mars 2025

La Bible, la Source

 Joie hier d'entendre Marie-Noëlle Thabut nous entretenir de sa passion pour la Bible - c'était la première de nos Conférences de Carême, à la Cathédrale de Bruxelles. A quatre-vingt-six ans, cette grande dame respire la joie de vivre, une joie qu'elle puise dans l'étude sans cesse recommencée de l'Ecriture Sainte, de ses langues, de ses codes, de ses genres littéraires, de ses styles. La figure d'un Dieu toujours plus soucieux de l'humain s'y dessine, d'un Dieu toujours plus jeune, aussi, comme est jeune de la vraie jeunesse cette femme dont le grand âge n'amenuise en rien l'enthousiasme!

jeudi 13 mars 2025

Une affluence inattendue

 Lors du Mercredi des Cendres qui a ouvert notre Carême et, plus largement, dans les demandes de plus en plus nombreuses que des adultes nous adressent pour devenir chrétiens par le baptême, nous voyons une affluence très grande de jeunes (mettons de 17 à 30 ans). Evidemment, cette affluence nous réjouit! Mais elle nous interroge, aussi : d'abord, pourquoi? Pourquoi des centaines et des centaines de jeunes, dans nos villes sécularisées, se posent-ils des questions spirituelles et cherchent-ils à y trouver une réponse dans la vieille Eglise catholique? Qu'est-ce qui les y attire? Sans doute pas sa réputation sulfureuse, savamment entretenue par certains médias, d'être un nid de pédophiles. Ou d'obtus conservateurs refusant toutes les avancées sociétales. Ou d'intégristes hostiles à la science et à ses progrès...

Alors, quoi? Peut-être l'estiment-ils capable, cette Eglise, de cacher, sous ses vieilles dentelles et sous ses rites, un mystère de vie qui serait seul susceptible de rejoindre en eux une angoisse - l'angoisse d'être au monde et de se demander quoi faire de cette présence. Car les justifications de la vie par la consommation toujours plus grande, par les plaisirs toujours plus excitants, par les esbroufes toujours plus mensongères, ne suffisent plus. Ils en auraient comme intuitivement surpris la supercherie. Alors ce serait vraiment une bonne nouvelle.

Autre question : comment? Comment accueillir ces jeunes? Comment les faire grandir dans cette rencontre de vieille et à la fois jeune Tradition bimillénaire de salut et d'espérance? Comment ne rien trahir de cette Tradition mais faire qu'en même temps elle soit pour eux source vive, source nouvelle? Comment les écouter, les respecter, ne rien raidir en eux, mais leur offrir la liberté souveraine des Enfants de Dieu, dont Paul, notre saint Paul, répète à l'envi qu'ils ne seront jamais esclaves de rien, puisqu'ils sont fils dans le Fils, fils et donc héritiers...

Quel défi! Quel magnifique défi!

samedi 1 mars 2025

Le plus choquant...

 On a déjà beaucoup commenté le "clash" d'hier entre les présidents ukrainien et américain. Ce dernier atteint, il est vrai, un niveau de bassesse rarement égalé, démontrant que chez lui l'injure tient lieu de pensée et de dialogue.

Mais le plus choquant n'est pas là. Zelensky est juif - son épouse, elle, est orthodoxe comme ses enfants. Trump est protestant. Vance est catholique. Ajoutons que Poutine prétend être orthodoxe. Cela fait donc plusieurs chrétiens qui s'affrontent, bafouant ainsi les plus élémentaires recommandations du Christ et utilisant même leur foi et leur religion à des fins politiques, pour mobiliser leur électorat et fanatiser leurs troupes.

L'utilisation politique du religieux est une honte - tout comme d'ailleurs son inverse, l'utilisation religieuse du politique. Il est grand temps que les responsables religieux, en tous les cas les chrétiens, dénoncent chez les responsables politiques cette perversion qui conduit le monde à sa perte.

dimanche 16 février 2025

L'hyper-richesse au pouvoir?

 L'Evangile proclamé ce dimanche, à savoir la version des Béatitudes en saint Luc, a de quoi nous faire méditer... L'accent lucanien est en effet plus rude que celui de Matthieu : ainsi, là où ce dernier met sur les lèvres de Jésus "Bienheureux les pauvres de coeur...", Luc se contente d'un "Bienheureux les pauvres" et l'assortit d'une malédiction : "Malheureux les riches!"

Malheureux les riches! Pourtant, nous voyons que la richesse, et surtout ce que l'on nomme parfois "l'hyper-richesse", chez les patrons qui brassent des milliards d'euros ou de dollars, a comme une fâcheuse tendance, un peu partout, a s'emparer du pouvoir. Comme s'il était légitime que la richesse gouverne les peuples!

On oublie que cette hyper-richesse est un malheur. Ou même simplement une tristesse. La mise en garde de Jésus est claire : ceux qui ont tout et ne désirent plus rien, ils ont leur consolation. Une fois dans ma vie, je suis entré chez l'un de ces "hyper-riches" : c'était une espèce de forteresse aux murs ornés de tableaux de grand prix, sans doute, mais à l'atmosphère lugubre. Cette usine à fabriquer du fric faisait plus penser à un funerarium qu'à autre chose! Oui, il y a une tristesse de la richesse.

Et un bonheur de la pauvreté. Oh, entendons-nous bien : un bonheur de la pauvreté, pas de la misère. Bien sûr il faut assurer à chacun de quoi vivre dignement, et ce n'est gagné nulle part. Mais il y a un bonheur du manque, du creux, parce que le désir ne peut passer que par là. Et, avec le désir, l'espérance. Nous entendions aussi saint Paul, ce matin, et son observation à des Corinthiens tentés de ne pas croire à la résurrection des morts : "Si vous avez mis votre espérance en Christ pour cette vie-ci seulement, vous êtes les plus à plaindre de tous les hommes!"

S'enclore dans la seule matérialité de l'ici-bas, dans l'amoncellement de biens et de pouvoirs comme dans l'horizon du seul bonheur possible, c'est ça, le malheur.

Oui, malheureux les riches. Et vive ceux qui, comme saint François, rappellent à l'Eglise si souvent tentée de l'oublier, elle aussi, que c'est en épousant "Dame pauvreté" que l'on prend le chemin du bonheur.

mercredi 5 février 2025

Le triomphe de l'inculture

 Vous aurez appris comme moi la dernière trouvaille du Sieur Trump : déplacer les populations palestiniennes de Gaza pour livrer leur territoire à l'Etat d'Israël qui en fera "la côte d'azur du Proche-Orient".  Vulgarité, cynisme, mépris des personnes et des lois internationales en vigueur : tout est à vomir là-dedans, nous voyons se répéter les exactions qu'on croyait devenues impossibles, comme l'appropriation de l'Autriche par Hitler, ou de l'Ethiopie par Mussolini...  La Bête n'est plus à nos portes, elle est dans la place.

Mais avons-nous songé à notre responsabilité? Ce que l'Occident a méprisé, et qui est par conséquent foulé aux pieds aujourd'hui, c'est une certaine idée de la culture - de la littérature, des beaux-arts, des  sources antiques et bibliques de tout cela, qui ont forgé l'humanisme au moins depuis la Renaissance. On a chez nous jugé que cet héritage était "trop élitiste", et qu'on pouvait sans vergogne s'en débarrasser. On a mis à la poubelle ce qui nous tenait debout.

Voyez le résultat : quand un inculte devient empereur, cela donne ce que nous avons sous les yeux. Et bientôt, si les protestations internationales ne se multiplient pas, nous n'aurons plus que ces yeux-là pour pleurer.

lundi 20 janvier 2025

Luciani et Mussolini...

 On demandait un jour à Albino Luciani, futur pape Jean-Paul Ier, qui voyait passer sous ses fenêtres le Dictateur Mussolini alors adulé par la foule, comment il réagissait. Il répondit par la citation d'un Psaume, le Psaume 36 :

"J'ai vu l'impie dans sa puissance se déployer comme un cèdre vigoureux. Il a passé, voici qu'il n'est plus; je l'ai cherché, il est introuvable."(Ps 36, 36)

Allez savoir pourquoi cette anecdote me revient, ce soir...

mercredi 15 janvier 2025

La question de la vérité

 A partir de la prochaine prestation de serment du nouveau Président des USA, on voit bien que la géopolitique mondiale sera redessinée - les Etats-Unis se désolidarisant sans doute davantage de l'Europe et des traités qui les lient à elle, la "vassalisant" en quelque sorte et favorisant ses divisions internes en accréditant les forces et partis de la droite extrême qui s'y déploient. La stratégie des sieurs Trump et Musk est à cet égard on ne peut plus explicite. La Russie pourra multiplier les déclarations, comme elle le fait ces jours-ci, l'habilitant d'après elle à étendre son empire vers l'Ouest et à reconquérir, ne serait-ce qu'idéologiquement, les contrées perdues après la chute du Mur de Berlin. L'influence de l'Europe en Afrique s'amenuisera encore, y laissant un champ de plus en plus libre aux ambitions chinoises. Bref, les puissances et les puissants réécrivent leur partage du monde...

Pour accréditer ce qui apparaît bien comme le grand changement depuis la fin de la dernière Guerre Mondiale, des discours sont partout brandis qui, au nom de l'histoire, de la culture, ou simplement du profit économique, sont truffés de ces "fake news" qu'autrefois et en français on appelait simplement des mensonges.

Ce n'est plus la vérité qui guide les choix et les positionnements stratégiques, mais l'arrogance et le n'importe quoi - on affirme comme vrai tout et son contraire, pourvu que l'affirmation serve des intérêts particuliers.

Ce qui pose à tout le monde la question de la vérité. Certes, on peut d'abord rappeler ce qu'elle n'est pas : la paisible détention de certitudes pré-critiques, par exemple religieuses,  ou de simples constats scientifiques certes importants mais insuffisants pour justifier une vie humaine. La  vérité est un horizon de sens, qui suppose le dialogue patient et complexe entre personnes de bonne volonté et porteuses de convictions, de passés et de présents fort divers. Elle n'est  jamais séparable du débat, même lorsqu'elle est une vérité religieuse et donc "révélée" - la révélation suppose toujours aussi une reprise critique, une herméneutique plurielle, sauf à verser dans le fondamentalisme dont on sait le danger. Elle est un cheminement, une quête incessante qui ne se dissocie pas d'une recherche concomitante de l'éthique et de l'esthétique, du bien et du beau. En ce sens, rien de laid ne saurait être vrai; rien de mal non plus. Ceux que le Moyen Âge philosophe appelait "les universaux" (le bien, le vrai, le beau...) marchent ensemble.

La déferlante du mensonge, un mensonge volontaire et intéressé, sur les réseaux sociaux, une déferlante entretenue par certains grand dirigeants, nous invite à retrouver la beauté et la bonté de la vérité. Reconquête patiente, mais obstinée que les chrétiens seraient bien inspirés d'entreprendre avec d'autres, avec tous ceux, espérons-le nombreux,  que le mensonge effraie - à juste titre.

mardi 7 janvier 2025

"Louée soit la lecture"

 C'est sous ce titre, "Louée soit la lecture", que les éditions Equateurs proposent la "Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation", du pape François, datée du 17 juillet 2024. Document en effet remarquable, à propos duquel j'ai eu l'occasion de m'exprimer hier matin sur KTO, dans l'émission "La Foi prise au mot", de l'ami Régis Burnet - diffusion dans le courant janvier, sans doute.

Dans l'édition en question, la préface est signée William Marx, un grand nom du monde académique français - il est professeur de littérature comparée et en occupe la chaire au prestigieux Collège de France. La préface est tout aussi remarquable que la lettre elle-même. J'en cite avec délectation la conclusion :

"Alors que paraissait la lettre, des prélats, des fidèles et quelques personnalités s'insurgeaient contre un épisode de la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques parisiens, interprétée à tort comme une parodie de la Cène. Un bref communiqué du Saint-Siège, non signé, embraya mollement. Ces censeurs de peu de discernement auraient difficilement pu se montrer plus éloignés de la hauteur spirituelle, intellectuelle et morale à laquelle s'élève François. On rêve que d'autres chefs religieux et politiques sachent s'inspirer de ce don exceptionnel d'intelligence et d'ouverture à tout ce qui fait l'humanité, en laquelle, selon la foi chrétienne, Dieu eut l'audace de s'incarner. C'est à cette même audace que nous sommes conviés en tant que lecteurs. Dans un sublime paradoxe moins ironique qu'on ne croit, où il inaugurait brutalement la poésie du XXe siècle, Guillaume Apollinaire le disait déjà : 'L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X.' C'était en 1913. Il n'y a qu'un nom à changer." (pp. 19-20)

On espère que pareille appréciation sera reçue et méditée par quelques médiatiques professeurs en modernité...