jeudi 24 octobre 2024

Les couleurs d'une artiste : funérailles d'Isabelle de Borchgrave

 Ce matin, célébration des obsèques d'Isabelle de Borchgrave, en l'église ND des Victoires au Sablon. Magnifique artiste, célèbre dans le monde entier pour ses créations picturales, notamment sur papier (ses robes sont connues), son inventivité et sa maîtrise des couleurs. Beaucoup, beaucoup de monde pour lui rendre hommage - le Roi lui-même était présent.

Et ce fut un bel hommage, musical, artistique, liturgique. L'Office dans cette magnifique église du Sablon, baignée de la lumière d'automne, a été un moment de paix et, j'ose le dire, de joie intérieure.

Et si, dans toute la noirceur du monde, l'art ou, plus largement, une vie d'artiste, étaient  une vraie source de lumière, d'espérance? Comme on aimait y croire, ce matin!

"Parce que lorsque vous n'avez rien, vous pouvez toujours trouver un bout de papier. Il vous éloigne de la peur, la peur d'abîmer notamment. (...) Au même titre qu'un écrivain, j'écris et je dessine pour raconter."

(I. de BORGHGRAVE, Art Interview, 2020)

dimanche 20 octobre 2024

"La guerre et la grâce"

 Je viens d'achever la lecture de la dernière longue interview - inachevée - que la regrettée Hélène Carrère d'Encausse a donnée au journaliste Darius Rochebin. Lucidité, intelligence, érudition convergent dans ce texte bref autour de grandes questions contemporaines - en particulier, on ne s'en étonne pas, le conflit russo-ukrainien. Thèse d'HCE : "Nous autres, Européens, avions oublié que la guerre est la règle et la paix l'exception" (p. 81), leçon qu'elle a, dit-elle, puisée dès sa jeunesse en lisant, et même en dévorant L'Iliade d'Homère.

En même temps, une chrétienne qui jusqu'au bout veut témoigner de l'Evangile : "Je suis une non-violente contrariée, persuadée que, hélas, la violence est la loi sur cette Terre. Cela n'interdit pas l'espérance. Sur mon épée d'académicienne, j'ai fait graver la devise tirée du Sermon sur la montagne : 'Heureux les pacifiques.' " (p.80)

J'ai beaucoup fréquenté et beaucoup admiré cette femme qui m'honorait, avec Louis son mari, de son amitié. Je la retrouve tout entière dans ces pages, qu'il faut lire comme on avale, par temps frais et chagrin, un réconfortant.


D. ROCHEBIN, La guerre et la grâce. Conversation inachevée avec Hélène Carrère d'Encausse, Paris Fayard, 2024, 101pp.

mercredi 16 octobre 2024

Réconcilier des inconciliables

 Faisant cours ce soir à des enseignants de religion catholique, j'essayais de leur faire entendre que la foi catholique aime concilier des inconciliables - ou, pour utiliser un terme technique, aime la "polysyndète", cette insistance sur l'addition, du genre : "J'ai vu et Jules et Paul et Suzanne..." Oui, la foi catholique aime le "et et" et ne supporte guère le "ou ou". Ainsi : nous parions en anthropologie chrétienne pour "et la grâce et la liberté"; en christologie pour un Christ qui est "et Dieu et homme"; en ecclésiologie pour  "et tous responsables et quelques-uns responsables." Etc. Choisir l'un contre l'autre, c'est assez vite verser dans l'hérésie (le terme du reste vient du grec 'hairein' qui signifie simplement : 'choisir'.)

Quelques préoccupations contemporaines me semblent pouvoir être considérées sous cet angle. Par exemple : la question de l'avortement, si débattue encore après la sortie du Pape dans l'avion qui le ramenait à Rome. Il faudra bien apprendre, tout de même, à tenir ensemble des vérités qui semblent a priori inconciliables. Oui, la grossesse concerne le corps de la femme enceinte - c'est une évidence et cette évidence génère un droit. Mais ET oui, la grossesse concerne aussi un autre corps que celui de la femme enceinte, et il faudra bien un jour respecter aussi ce point de vue : un foetus humain n'est pas une tumeur dont on se débarrasse avec soulagement. Comment concilier ces deux aspects? C'est là que le législateur doit être intelligent, sans faire jouer l'une contre l'autre une dimension du problème. Nous n'y sommes pas, manifestement!

Autre problème, international celui-là : Oui, Israël a le droit d'occuper en sécurité le territoire que les Nations-Unies lui ont octroyé en 1948. Mais ET oui, les Palestiniens ont le droit de trouver ou retrouver une terre à eux, avec des institutions qui les protègent de leurs ennemis extérieurs et intérieurs. Là aussi, espérons des diplomates une vision complexe des choses, capable enfin de ramener la paix dans ce Proche-Orient martyrisé.

Dans les deux cas pré-cités, il faut pour concilier les inconciliables renoncer à l'idéologie. C'est le sacrifice le plus nécessaire. Le plus difficile, aussi. Demandons-le pour nous et pour tous!