jeudi 21 novembre 2024

Nous voyons naître des dictatures...

 Partout, sous nos yeux épouvantés, naissent des dictatures. Et le scénario, toujours, est le même : on investit les institutions démocratiques, on les détourne de façon populiste pour favoriser une figure prétendument charismatique, entre les mains de laquelle on finit par concentrer les pouvoirs non seulement exécutif, mais aussi législatif et judiciaire. La réélection de Mr Trump aux USA est  de ce processus très ancien une parfaite illustration : voici cet homme aux commandes des trois pouvoirs en question, dans l'un des Etats les plus puissants du monde. Mais Mr Erdogan en Turquie a fait pareil, et Mr Poutine en Russie, et Mr Orban en Hongrie, et, et, et... Et autrefois, la République Romaine a cédé sous le même stratagème pour devenir l'Empire et, plus près de nous, l'Allemagne des années '30 a pareillement confié tous les pouvoirs au sieur Hitler, et avant cela la fragile monarchie italienne avait fait de même pour Mussolini, et, et, et...

Platon déjà en avait prévenu ses lecteurs : "Dis-moi comment naît la tyrannie. Qu'elle soit une conséquence de la démocratie, c'est assez évident!" (La République, 8. 562)

C'est que la démocratie est fragile, ô combien! Encore une fois, elle ne saurait survivre seulement en comptabilisant les majorités de suffrages. Pour rester en vie, elle doit s'abreuver aux sources de l'éthique, sources toujours conflictuelles, certes, mais dont la richesse est dans le dialogue : les droits de l'homme, les formulaires moraux des religions (comme la Torah ou les Dix commandements), les textes littéraires et philosophiques de la sagesse sans cesse repensée. Privée de ces sources, la démocratie n'est qu'une petite proie, vie avalée par les ambitions des dictateurs.

Comment réagir quand, sous nos yeux, nous voyons s'élargir le cercle des tyrans potentiels? En ne refusant pas de retourner aux sources, en nous y abreuvant, en relançant le dialogue sur l'éthique, en reconsidérant l'apport des religions, en opposant cette sagesse à l'ambition des potentats. Chez nous et dans le monde!

lundi 18 novembre 2024

La légende de l'oignon

 Dans Les frères Karamazov du grand Dostoïevsky se niche un petit trésor de vie spirituelle et simplement humaine : la légende de l'oignon. Une femme très méchante, dit cette légende, mourut sans repentir - elle avait passé sa vie à faire du mal à tout le monde et à dire du mal de tout le monde! Elle fut donc engloutie dans le lac de feu de l'enfer! Mais son ange gardien plaida sa cause et il lui fut demandé de chercher dans la vie de cette méchante femme une action, une seule action, qui ait été bonne. Le bon ange finalement trouva : un jour, cette femme avait donné un oignon à une pauvresse, une mendiante qui avait faim. Bon, ce n'était pas énorme, non! Mais Dieu dit à l'ange de prendre cet oignon et d'y suspendre la femme pour la tirer, grâce à lui, du lac de feu. Ce qui fut fait : et la femme monta, doucement. Mais voilà que d'autres damnés s'agrippèrent à elle pour monter avec elle. Alors, méchamment - rappelons qu'elle avait toujours été méchante! - elle les repoussa avec ses pieds en disant : "C'est mon oignon, pas le vôtre!"  Et, à l'instant même, bien sûr, l'oignon de brisa et elle retomba dans le lac de feu!

Je me souvenais aujourd'hui de cette légende en lisant... le Journal. D'abord, j'y renouvelle ma foi en une vraie transcendance, non pas une idée de transcendance, non pas une invention humaine, mais une véritable puissance de vie et d'amour qui nous veut, chacune et chacun de nous, qui nous connaît et qui nous aime, comme elle aime l'entière humanité. Cette puissance - Dieu - est volonté de salut et de vie. Et heureusement car, laissé à ses seules forces, l'être humaine barbote dans son impuissance à se sauver. Je suis horrifié par la bêtise récurrente des bipèdes que nous sommes, par notre abrutissement, incapables de faire la paix, de vouloir vraiment la justice, bref incapables de nous tirer - de nous sauver, oui! - de nos égoïsmes mortifères. Le salut heureusement vient d'ailleurs, il sollicite notre collaboration, sans aucun doute, mais nous ne sommes pas par nous-mêmes capables de l'imaginer. Oui, dans ce sens, et comme je le partageais samedi après-midi avec une vingtaine de catéchumènes, j'ose dire que "Je crois en Dieu".

Cette puissance de salut vient à bout de notre méchanceté, car elle est capable de rappeler d'entre nos pauvres mesquineries une bonne action, une seule, repérable sans doute seulement par un regard de bonté qui est précisément divin. Un oignon... pas grand'chose, évidemment, mais suffisant pourtant aux yeux de l'amour, de cet amour-là.

Et nous serons sauvés par la grâce de cet amour qui nous nous fait nous agripper à ce reste de bonté en nous. 

Mais... nous ne serons sauvés qu'ensemble. Même nos pâles bonnes actions ne sont pas nôtres, ne sont pas de nous-mêmes ni seulement pour nous-mêmes! Et tant mieux si tous les damnés de la terre s'y agrippent!

Vaincre la méchanceté de nos coeurs, jusque là! 


jeudi 7 novembre 2024

"Sur la démocratie en Amérique"

 On connaît l'ouvrage de Tocqueville... Evidemment, le vote d'avant-hier chez nos amis d'Outre-Atlantique relance la question de la démocratie. Celle-ci consiste-t-elle seulement en l'addition de votes majoritaires qui l'emportent sur les autres? A l'évidence, non. Sinon, la majorité aurait raison de porter au pouvoir des dictateurs (ce fut le cas, en Allemagne, dans les années 1930, ne l'oublions jamais!)

En réalité, la démocratie suppose le respect de valeurs qui ne sont pas soumises à l'arbitrage démocratique. Parmi celles-ci : eh bien, en premier, la démocratie elle-même, qui vaut toujours mieux que la dictature! Ou encore : la vérité, qui vaut toujours mieux que le mensonge (ou les "fake news" pour reprendre une version contemporaine du mensonge organisé). Ou encore : la vie, qui vaut toujours mieux que la mort. Ou encore : la reconnaissance de l'égalité foncière des êtres humains entre eux, quelles que soient leur race, leur sexe (ou leur "genre"), leur nationalité, leur origine, leur religion. Etc.

Problème : ces "valeurs"-là, donc, ne sont pas, ne peuvent pas être, soumises à l'arbitrage démocratique d'une simple majorité de voix. Alors, qu'est-ce qui les légitime? Mettons, la tradition éthique (ou morale, j'emploierai toujours, pour ma part, les deux termes de façon interchangeable, sourd aux arguties qui discréditent l'une par rapport à l'autre). Une tradition que l'on trouve dans les formulaires religieux ou littéraires (la Torah, les Béatitudes, ce que l'on nomme la "loi naturelle" telle qu'exprimée dans la Tragédie grecque, etc.) 

Evacuez ces valeurs morales, il vous reste ce que nous constatons...