Voici donc un néologisme : l' "identitarisme". Entendons par là : une volonté affichée de se replier sur une "identité" prétendue ou réelle, culturelle ou religieuse, ou les deux.
Dans bien des pays - aux USA de Mr Trump, en France, en Hongrie, en Pologne, en Belgique maintenant - des voix s'élèvent pour revendiquer une "identité" religieuse "judéo-chrétienne", parlant à son propos quelquefois de "tradition", pour l'opposer au "wokisme" qui diluerait dans du n'importe quoi les cultures, les appartenances, les religions, les orientations sexuelles, etc. Cette prétendue identité est alors brandie comme une idéologie censée soutenir la reconquête politique d'un pays : voyez, j'en ai déjà parlé ici même, les propos de Mr Zemmour, mais aussi ceux de Mr de Villiers, en France, voyez comment Mr Trump relit le dogme de l'Immaculée Conception ou comment Mr Vance, son vice-président, donne au pape Léon une leçon de théologie sur l'immigration, prétendument à partir des écrits de saint Augustin. Non : nous ne rêvons pas. Le monde politique reconstruit un religieux à sa mesure et le présente comme "la tradition" pour soutenir des projets électoraux de reconquête.
Eh bien... Non! Car ce qui est présenté là comme le "judéo-christianisme" n'est pas le christianisme, mais tout au plus le rêve d'une chrétienté restaurée. Du reste, commençons par dénoncer cette collusion entre "judéo" et "christianisme" : car si un peuple a, au cours de l'histoire occidentale, souffert de cette chrétienté, c'est bien le peuple juif! C'est que cette idéologie a toujours besoin d'un bouc-émissaire : pendant des siècles, donc, les Juifs. Aujourd'hui, les musulmans, accusés de vouloir le grand remplacement de notre belle civilisation envolée par les lois de l'Islam. (Parmi toutes les critiques contre la crèche de la Grand Place de Bruxelles, critiques émanant pour l'essentiel de ce petit milieu catholique, les plus stupides mais aussi les plus significatives accusaient cette oeuvre d'être une "crèche musulmane" voire "salafiste"...) Non, cela n'est pas le christianisme, car le christianisme, c'est... le Christ. Un Christ toujours dérangeant, comme il le fut de son vivant terrestre, toujours inclusif, et donc toujours proche des exclus et des pauvres, des étrangers et des laissés pour compte, au point de faire du soin que l'on porte à ces personnes le seul critère d'entrée dans la Vie éternelle : le récit dit du "Jugement dernier", en Mt 25, est à cet égard sans appel, le Christ-Juge s'y identifiant précisément à celles et ceux que l'on a ainsi secourus.
Il n'y a pas de christianisme sans le Christ, sans ce Christ-là. Et rien n'est plus dangereux qu'une idéologie qui se ferait passer pour chrétienne en escamotant ainsi le coeur de la foi qu'elle prétendrait défendre ou promouvoir. Il revient à l'Eglise de dénoncer pareille dérive, et de la dénoncer sans aucune concession, par ses prises de parole, ses catéchèses, ses homélies, ses enseignements, sa théologie. C'est sans doute le prochain grand défi auquel elle sera - auquel elle est déjà - nécessairement confrontée. On pense en effet trop souvent que la séparation de l'Etat et des cultes est à sens unique : que les religions s'abstiennent d'ingérence politique. Or, à toutes les époques - et l'identitarisme en est un nouvel exemple, à la nôtre - cette séparation doit être aussi vécue dans l'autre sens : que l'Etat et le monde politique s'abstiennent d'utiliser les religions ou le religieux, et surtout s'abstiennent de les détourner à leur profit. La tentation a toujours été grande : Constantin et Théodose, Clovis et Charlemagne, le gallicanisme des rois de France, le joséphisme des empereurs d'Autriche, les velléités de Napoléon, etc! A toutes les époques aussi, et en conséquence, l'Eglise doit donc résister fermement à ce dangereux césaro-papisme.