Dans Les frères Karamazov du grand Dostoïevsky se niche un petit trésor de vie spirituelle et simplement humaine : la légende de l'oignon. Une femme très méchante, dit cette légende, mourut sans repentir - elle avait passé sa vie à faire du mal à tout le monde et à dire du mal de tout le monde! Elle fut donc engloutie dans le lac de feu de l'enfer! Mais son ange gardien plaida sa cause et il lui fut demandé de chercher dans la vie de cette méchante femme une action, une seule action, qui ait été bonne. Le bon ange finalement trouva : un jour, cette femme avait donné un oignon à une pauvresse, une mendiante qui avait faim. Bon, ce n'était pas énorme, non! Mais Dieu dit à l'ange de prendre cet oignon et d'y suspendre la femme pour la tirer, grâce à lui, du lac de feu. Ce qui fut fait : et la femme monta, doucement. Mais voilà que d'autres damnés s'agrippèrent à elle pour monter avec elle. Alors, méchamment - rappelons qu'elle avait toujours été méchante! - elle les repoussa avec ses pieds en disant : "C'est mon oignon, pas le vôtre!" Et, à l'instant même, bien sûr, l'oignon de brisa et elle retomba dans le lac de feu!
Je me souvenais aujourd'hui de cette légende en lisant... le Journal. D'abord, j'y renouvelle ma foi en une vraie transcendance, non pas une idée de transcendance, non pas une invention humaine, mais une véritable puissance de vie et d'amour qui nous veut, chacune et chacun de nous, qui nous connaît et qui nous aime, comme elle aime l'entière humanité. Cette puissance - Dieu - est volonté de salut et de vie. Et heureusement car, laissé à ses seules forces, l'être humaine barbote dans son impuissance à se sauver. Je suis horrifié par la bêtise récurrente des bipèdes que nous sommes, par notre abrutissement, incapables de faire la paix, de vouloir vraiment la justice, bref incapables de nous tirer - de nous sauver, oui! - de nos égoïsmes mortifères. Le salut heureusement vient d'ailleurs, il sollicite notre collaboration, sans aucun doute, mais nous ne sommes pas par nous-mêmes capables de l'imaginer. Oui, dans ce sens, et comme je le partageais samedi après-midi avec une vingtaine de catéchumènes, j'ose dire que "Je crois en Dieu".
Cette puissance de salut vient à bout de notre méchanceté, car elle est capable de rappeler d'entre nos pauvres mesquineries une bonne action, une seule, repérable sans doute seulement par un regard de bonté qui est précisément divin. Un oignon... pas grand'chose, évidemment, mais suffisant pourtant aux yeux de l'amour, de cet amour-là.
Et nous serons sauvés par la grâce de cet amour qui nous nous fait nous agripper à ce reste de bonté en nous.
Mais... nous ne serons sauvés qu'ensemble. Même nos pâles bonnes actions ne sont pas nôtres, ne sont pas de nous-mêmes ni seulement pour nous-mêmes! Et tant mieux si tous les damnés de la terre s'y agrippent!
Vaincre la méchanceté de nos coeurs, jusque là!